Saint Thomas : Critique d’Averroès
-Article 5-
Tous les arguments d’autorité des philosophes Grecs et
Musulmans que nous avons exposés dans l’article 5, tendent, grosso modo, à
exprimer la même thèse : l’intellect possible est inséparable de l’âme.
Par suite, Saint Thomas entend les
prouver par le raisonnement en partant de trois propositions
aristotéliciennes. La première est que l’âme est une forme d’un corps organisé.
La deuxième affirme qu’elle est « A’ titre premier, ce par quoi nous
vivons et pensons. »(1). La troisième définie l’intellect comme « Ce
par quoi l’âme pense. »(2). Alors, puisque l’âme est la forme d’un corps
et le fondement de la vie et de la pensée, et puisque l’intellect est
l’instrument par quoi elle pense, il s’en suit que l’intellect est une forme du
même corps. A’ travers cet enchainement argumentatif, Saint Thomas veut
ébranler la thèse d’Averroès selon laquelle l’intellect possible n’est ni une
âme ni en fait partie. Car s’il était ainsi il serait une substance séparée.
Or, comment dans ce cas l’acte de la pensée peut- il être possible chez un
homme individuel déterminé ?
La réponse d’Averroès est que la pensée de l’intellect
possible entre en relation avec un tel homme, grâce aux images qui sont en lui.
Ces images, comme d’ailleurs l’intellect possible, sont les deux sujets de
l’espèce intelligible. Et c’est ainsi qu’un homme individuel pourrait
penser.
Cette thèse ne peut évidemment pas satisfaire Saint
Thomas, qui évoque trois preuves dans le but de la réfuter. D’une part, dire
que la relation de l’intellect avec l’homme n’est possible qu’à l’occasion
d’une sensation actuelle, sensation qui est la source des images, c’est
soutenir que l’intellect n’entre pas en relation avec lui dès sa génération.
D’autre part, l’espèce intelligible aura, ainsi, deux aspects différents :
elle sera une pensée en puissance dans les images, et une fois abstraite de ces
dernières, elle sera une pensée en acte au sein de l’intellect. Mais, de cette
façon l’espèce intelligible en acte contribuera à créer une séparation entre
l’intellect et ces images. En effet, il n’y aura plus de relation possible
entre les deux. Alors, la conclusion absurde à laquelle aboutit la thèse
d’Averroès, est que l’homme ne pense
pas ! C’est la substance séparée (l’intellect possible) qui effectue une
telle fonction !
Enfin, et comme dernière preuve, la présence de l’espèce
intelligible à la fois dans les images qui sont en nous et dans l’intellect
possible, n’est pas une cause suffisante pour dire que nous pensons. En vérité,
c’est l’intellect possible qui pense, puisque c’est lui qui détient l’espèce
intelligible en acte. En revanche, l’homme individuel, Socrate par exemple, ne
possède l’espèce intelligible qu’en puissance, ce qui veut dire qu’il n’exerce
pas une activité cognitive autonome.
Afin de sortir de l’impasse où s’est engagé la conception
d’Averroès, d’autres ont prétendu que la relation entre l’intellect et le corps
est analogue à celle qu’on constate entre le moteur et l’objet mû. Le problème
est que dans un cas pareil, on n’aura pas une unité, un homme individuel
« un » et « être », mais plutôt un composé formé d’un
moteur, l’intellect, et d’une chose mue, le corps. Un composé ainsi constitué
n’est pas un être, donc il est incapable d’effectuer une action, en outre il ne
peut appartenir ni à une espèce ni à un genre. Ainsi, admettre une telle
conception, c’est soutenir la même position qu’elle prétend dépasser :
celle d’Averroès. En effet, l’intellect serait comme quelque chose
d’extrinsèque qui vient « diriger » le corps du dehors. Proposition
qui reste également absurde aux yeux de Saint Thomas.
Kamal Elgotti
09-06-2016
Khénifra
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