dimanche 27 novembre 2016



« Nicolas de Cues : les mathématique au service de la métaphysique »
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I- Prologue

D’origine allemande, Nicolas Chrypffs (1401-1464), communément connu sous le nom de Nicolas de Cues, en raison de sa ville natale Bernkastel-Kues, située sur les bords de la Moselle, est considéré par un bon nombre de philosophes comme étant « le messager (harbinger) de la modernité. »(1) Certes, il l’est à cause de sa doctrine sur l’infinité de l’univers, à la quelle il a consacré le deuxième livre de son traité intitulé : « la docte ignorance » (traduit parfois par l’ignorance savante). Il l’est aussi, puisque il fait parti des philosophes qui ont ébranlé, quoique sur un plan métaphysique plutôt que physique, la doctrine aristotélicienne qui soutenait l’image d’un cosmos clos et hiérarchisé.

Mais, en tous cas, il reste vrai que l’éclosion et de la science moderne et de la subjectivité moderne, avait besoin d’une métaphysique autre, celle capable de sous-tendre cette science naissante, de façon à ce qu’elle soit sa  condition de possibilité.

Pourtant, et nonobstant les considérations susdites, on ne peut en conclure qu’il croyait effectivement à l’idée d’un univers qui serait infini. D’ailleurs, comme Descartes deux siècles après, il affirmait qu’il est seulement indéterminé, car Dieu seul est véritablement infini en acte. *

En outre, Nicolas de Cues est considéré par les historiens de la philosophie comme un néoplatonicien qui s’est nourri d’une grande tradition qui remonte à Platon, Aristote, Proclus, Augustin et Denis l’Aréopagite et sa théologie négative. Sans successeur, De Cues avait néanmoins influencé par ces idées innovatrice, même si Pierre Duhem conteste son originalité**, plusieurs philosophes et savants, parmi eux on peut citer les noms de : Copernicus, Kepler, Bruno, Descartes, Leibniz, Blumenberg et Georg Cantor. (2)

Certains auteurs contemporains voient même en lui un plus ou moins « révélateur » de quelques conceptions qui seront élaborées en physique quantique. Il s’agit là surtout de sa conception sur la « coïncidence des opposées » qui défie les deux principes fondamentaux de la logique aristotélicienne, à savoir : le principe d’identité et celui de la non-contradiction. En effet, dire qu’à l’infini la courbe est une droite, et la droite une courbe, c’est soutenir qu’une même chose peut être la même et l’autre, autrement dit c’est affirmer la coïncidence de l’identité et de l’altérite***. C’est ce que affirme, dans certaine mesure, la théorie du quanta quand elle révèle la double-nature de la matière à travers ce qu’elle appelle : dualité « onde-corpuscule ».

De ma part, j’estime qu’il est très important de prendre le cadre théorique au sein duquel s’est inauguré la pensée  de Nicolas de Cues comme paradigme afin de repenser la relation entre les différents champs théoriques. Ces derniers se sont éparpillés suite à la spécialisation accrue de la connaissance, et surtout suite à la domination d’une « idéologie positiviste » qui ne considère les autres expressions symboliques que comme étant des formes archaïques reflétant l’âge « enfantin » de la pensée humaine. Un tel état de chose est ce que constate clairement l’historien et épistémologue des sciences Robert locqueneux quand il dit : « L’enseignement des sciences et la pratique scientifique peuvent nous donner l’illusion qu’il y a une rationalité scientifique, universelle et intemporelle ; une rationalité qui exclue toute idée d’alliance de la science et de la théologie. Spontanément les hommes de notre temps sont enclins à penser que la science et la religion n’ont jamais pu faire bon ménage. » (3) Ainsi, si j’ai choisi de penser cette relation, c’est pour dévoiler cette interdépendance des champs de l’activité rationnelle des humains qui a durée des siècles sans pour autant cesser de l’être jusqu’à maintenant. Mais ce qui a retenu mon intention c’est le rôle qu’avaient joué les mathématiques dans l’édification de la métaphysique de Nicolas de Cues, et surtout de sa conception théologique concernant le Dieu. Alors, dans quel sens peut-on parler d’une alliance entre mathématiques et métaphysique dans le système de notre philosophe ?  
c'est à cette question donc, que je m'attacherai à répondre dans la suite des articles que j'ai consacrés à ce thème.




 

II-  La quête de l’absolu : méthode et concepts

Avant d’aborder notre question principale, il convient en premier lieu de se pencher sur la nature de la méthode telle qu’elle est exposée par Nicolas de Cues lui-même. Il nous faut aussi éclaircir certains concepts clés qui ont été élaborés par notre philosophe, en vue de penser le problème de la connaissance de l’infini : Dieu.
En effet, tout intellect « sain et libre », selon les mots de Nicolas de Cues, ne peut que donner son consentement au vrai, une fois que celui-ci a été dévoilé. Mais, pour y parvenir il nous faut assurément une méthode. A fortiori, nous atteignons notre objet de recherche en le comparant à ce que nous savons déjà ; c’est-à-dire que c’est par analogie que nous parvenons au vrai. Quand nous disons, à titre d’exemple, que les nageoires sont pour les poissons ce que sont les pieds pour les humains, nous ne faisons en vérité qu’établir un rapport ou une analogie qui affirme la ressemblance (le même), sans pour autant nier la différence (l’autre). Donc, il s’agit d’un rapport et d’une proportionnalité entre deux termes ou plus ; de tel rapport et proportionnalité ne peuvent être exprimés que par les nombres. De fait, la connaissance que nous avons  des choses et au fond approximative, et leur vérité ultime nous reste à jamais inaccessible.
Mais, s’agissant cette fois-ci de l’infini, ou du maximum que De Cues définie comme étant : « Ce par rapport à quoi il n’est rien qui puisse être plus grand * »(1), l’analogie ne peut pas nous être utile, car l’infini ou le maximum échappe à toute approche analogique. Et puisque il est ainsi, ce maximum exprime l’unité absolue et simple, il est au-delà de toute relation et de toute contraction**. De fait, rien ne s’oppose à lui, car dans l’unité absolue, le minimum et le maximum coïncident. ***Par conséquent, il est en toutes choses sans être aucune d’elles, il est ainsi absolument en acte, englobant en son sein toutes les possibilités. 
Cependant, et malgré ces difficultés, quand nous avouons notre ignorance, et notre incapacité à connaître l’infini, nous acquérons par là  la méthode adaptée pour le saisir, non pas absolument mais symboliquement. Ainsi, dit De Cues : « …Puisque notre désir ne saurait être vain, nous désirons donc savoir que nous ignorons. Et si nous pouvons y réussir pleinement, alors nous aurons atteint la docte ignorance. »(2) Autrement dit, savoir c’est ignorer. Formule certes paradoxale et pourtant elle résume tout un programme de recherche. En effet, le problème que pose De Cues peut être élucidé en songeant à la question suivante : comment des êtres infinis peuvent- ils connaître l’infini ? C’est à l’occasion de cette incommensurabilité entre le fini et l’infini que De Cues expose sa conception de la docte ignorance « comme un moyen de transcender les limites de notre pensée rationnelle. »(3) C’est pour cette raison que De Cues insiste sur la nécessité de dépasser la signification ordinaire des mots ainsi que les choses sensibles afin que nous puissions transcender les exemples tirés des mathématiques, et être en mesure d’atteindre « la racine de la docte ignorance dans l’insaisissable précision de la vérité. »(4)
III- Le statut de la vérité et la docte ignorance
Le maximum est nécessairement infini. Il n’admet ni le plus ni le moins. Et même si De Cues use du sens mathématique du maximum pour expliciter ses conceptions concernant dieu et la divinité, il n’en demeure pas mois qu’il diffère totalement du maximum absolu et simple. Il s’agit d’un usage plutôt symbolique en vue d’accéder au maximum en sa pure simplicité. Partant, quel est le statut de la vérité ? Pouvons-nous y parvenir ?
Aucune chose finie par nature n’est absolument identique à une autre. Par conséquent, l’analogie comme méthode de recherche ne pourra jamais nous faire accéder à la vérité. Pour mettre en lumière cette thèse, De Cues évoque la fameuse image de la quadrature du cercle et dit : « …L’intellect se comportant à l’égard de la vérité comme le polygone par rapport au cercle : s’il ressemble de plus en plus au cercle à mesure que ses angles inscrits sont plus nombreux, jamais pourtant, quand bien même on les multiplierait à l’infini il ne deviendra égale à celui-ci, à moins qu’il ne se supprime lui-même dans son identité avec le cercle. »(5) L’image de la quadrature du cercle représente dans le contexte philosophique de Nicolas De Cues l’illustration parfaite de sa docte ignorance. Elle représente aussi la difficulté face à laquelle on se trouve lorsqu’on prétend chercher accès à la vérité absolue. En outre, grâce à sa conception de la vérité comme horizon inaccessible, De Cues remet en cause toute tentative visant l’essence même des choses, et de ce fait pose des limites que notre intellect ne peut aucunement dépasser. Or, cette manière de concevoir la connaissance et ses limites est totalement différente de la prétention qui avait régnée tout au long des siècles : de l’époque antique jusqu’à l’époque médiévale. C’est une nouveauté, qui sera reprise surtout par Kant, de voir un philosophe mettre en doute la capacité de la raison humaine quand il s’agit de connaître l’essence des êtres, de fait, dit-il : « …L’essence des choses, qui est la vérité des êtres, est inaccessible dans sa pureté ; si tous les philosophes l’ont cherchée, aucun ne l’a trouvée telle qu’elle est ; et plus nous serons profondément doctes en cette ignorance, plus nous approcherons de la vérité elle-même. »(6)  Mais, reste à savoir comment cette approche est- elle possible ? Et comment y parvenir ?
IV- La coïncidence des opposés
Le maximum, l’infini, ne peut pas être l’objet d’une connaissance directe. En un autre sens, il n’est connu que sous le mode de l’inconnaissable ! C’est paradoxale, certes, mais puisque on ne peut pas le décrire avec des notions telles que « le plus » et « le moins », alors il est une égalité maximale qui n’admet ni différence ni altérité. D’où, l’analogie comme méthode de recherche, ne peut aucunement nous être utile quand il s’agit de connaître le maximum. Car, une telle méthode se fonde sur le rapport entre des termes, cependant le maximum, lui, n’as surement pas de terme auquel nous puissions le mesurer. Il est totalement en acte, rien de lui ne peut être en puissance, car dans ce dernier cas il serait supporter « le moins » et « le plus », ce qui est inconcevable. En effet, cet infini en acte, ce maximum absolu, ne laisse rien échapper en dehors de lui, il contient et comble le tout. Ainsi, tous les opposés y coïncident. De fait, le maximum lui-même coïncide avec le minimum, car ce dernier n’est que le maximum de petitesse, c’est pourquoi De Cues nous dit : « Le minimum est ce par rapport à quoi rien n’est plus petit. Et puisque le maximum est sur le même mode, le minimum coïncide manifestement avec le maximum. »(7)
Cette théorie de la coïncidence des opposée, comme on peut le constater, ébranle de fond en comble les deux principes clés de la logique d’Aristote à savoir : le principe d’identité et celui de la non-contradiction. Plus encore, c’est tout le schème de la rationalité antique et médiévale qui s’écroule sous l’effet de cette théorie. Bien évidemment, on peut retrouver cette image de la coïncidence des opposés dans toute la tradition de la théologie négative inspirée par le néoplatonisme, surtout en sa version chrétienne telle qu’elle est présenté par « Denis l’Aréopagite ». Néanmoins, on n’a pas à nous étonner du moment que « De Cues », lui-même, en fait partie. En effet, la question qui se pose est de savoir comment De Cues justifié-il cette coïncidence des opposés ?
Pour ce faire, c’est aux mathématiques qu’il se livre pour nous convaincre de la véracité de sa conception, surtout quand il dit : « En effet, la quantité maximale est maximalement grande, et la quantité minimale, maximalement petite. Abstrais le maximum et le minimum de la quantité – en suppriment mentalement « grand » et « petit » - et tu vois clairement que le maximum et le minimum coïncident. En effet, le minimum de même que le maximum, sont (l’un et l’autre) des superlatifs (absolus). Par conséquent, la quantité absolue n’est pas plus maximale qu’elle n’est minimale, puisque en elle minimum et maximum coïncident. »(8)
Dieu, l’infini et le maximum, n’est pas seulement au-dessus et au-delà de toutes formes de différence et d’opposition, il est aussi « au-dessus de toute affirmation et de toute négation. »(9) En effet, les choses qui existent sont susceptibles d’être et de ne pas être. On peut affirmer d’elles tel jugement ou tel autre, mais le maximum qui coïncide avec le minimum surpasse toute affirmation et toute négation. Il les surpasse, car étant toutes choses, il n’est, néanmoins, aucune d’elles. Dieu, parce qu’il est la maximalité absolue qui englobe le tout, il n’est pas, du moment qu’il est au-delà de l’être****. Par nature notre raison est encline à dissocier, séparer, classifier et réduire le complexe. Avec De Cues, nous sommes appelés à remanier notre façon de penser, en adaptant notre raison à saisir cette fois-ci l’inconnaissable et l’indicible. De ce fait, nous devons redressées toutes les catégories à partir desquelles nous avons jusqu’ici penser l’impensable, et saisir l’insaisissable, c’est-à-dire : l’infini, le maximum, Dieu.
V- Le maximum comme unité et nécessité absolues
« Tout était constitué et connu par la vertu des nombres. »(10) C’est la grande leçon du Pythagorisme que De Cues s’en sert pour penser ce qui est en-deçà et au-delà de l’être. En effet, c’est grâce aux nombres qu’on puisse nommer les choses, leur attribuer des valeurs, les distinguer les unes des autres. Supprimez le nombre, dit De Cues : « La distinction entre les choses, leur ordre de succession, leur proportion, leur harmonie et par conséquent la multiplicité même des êtres disparaissent. »(11) Or, à chaque fois qu’on évoque un nombre, on est du même coup amené à évoquer un autre aussi grand que le précédent sans pour autant atteindre l’infini. Et puisque le maximum et le minimum coïncident, alors, en peut de même toujours soustraire un nombre d’un autre de façon à ce qu’on puisse arriver à un nombre encore plus petit. Ainsi, et partant de cette soustraction, on atteindra « un minimum par rapport auquel rien ne peut être plus petit, à savoir l’unité. »(12)
Mais, cette unité dit De Cues : « Ne peut être un nombre, puisque tout nombre, admettant du plus, ne peut jamais être ni le minimum ni le maximum dans leur simplicité ; mais elle est l’origine de tout nombre, parce qu’elle est le minimum ; et elle est aussi la fin de tout nombre, parce ce qu’elle est le maximum. Elle est donc l’unité absolue qui ne connaît pas d’opposé, la maximalité absolue qui est Dieu, béni soit-il ! »(13)
On voit, donc, comment De Cues tente, en maniant cette double progression vers l’infiniment grand d’une part, et vers l’infiniment petit d’autre part, d’amener l’origine de tout nombre, et par conséquent de toutes choses, à l’unité absolue, à Dieu lui-même.
Ce symbole de l’unité génératrice d’où, par une sorte de contraction, procède le multiple, n’est de facto que la procession néoplatonicienne qui de l’Un elle fait jaillir tous les êtres matériels et spirituels. La théorie de la procession avait constitué le fondement le plus important qu’avait soigneusement employé les théologiens chrétiens dans leur tentative de percer l’énigme des trois hypostases, à savoir comment l’Un (le Père) peut-il engendrer le multiple (le Fils et le Saint-Esprit), sans qu’il perd son unité ?
Or, l’unité parfaite et simple ne convient qu’à Dieu et qu’à lui seul. Et c’est pourquoi De Cues en fait l’un des attributs divins les plus essentiels. 
Mais, que Dieu, le maximum absolu, l’infini soit au-dessus de toute négation et de toute affirmation, cela est chose attestée. Par conséquent, on ne peut pas dire d’un tel maximum ni qu’il est ou n’est pas. Il est, désormais, le principe et la fin de toutes choses, sans être aucune d’elles. Ainsi, c’est toute la tradition de la théologie négative qui se découvre devant nous, surtout quand De Cues dit : « Dire que le maximum est, est et n’est pas, ou enfin ni n’est ni n’est pas est vrai au sens le plus maximal du terme, car il est impossible d’en dire ou penser plus. Et quelque soit la proposition que tu jugeras vrai au sens maximal du terme, je tiens ma conclusion, car je tiens la vérité maximale qui est le maximum dans sa simplicité.
Par suite, même s’il apparaît clairement, dans ce qui vient d’être dit, qu’ « être » comme tout autre nom n’est pas le nom précis du maximum qui « est au-dessus de tout nom », il est cependant nécessaire que l’être maximal et anonyme s’identifie à lui-même par un nom maximal au-delà de tout être nommable . »(14)   
En effet, ce nom qui surpasse tout être nommable, réel ou possible, et qu’on puisse attribuer au maximum absolu est la nécessité absolue. Il en découle, donc, que le maximum en sa simplicité et absoluité est au même temps Un et Nécessité Absolue. 


NOTES DU PROLOGUE



1- Hankins James : Renaissance Philosophy, Cambridge University, 2007. P. 173

2- Renaissance Philosophy. P. 173

3- Locqueneux Robert : Science classique et théologie, Editions Vuibert novembre 2010. P. 1



* Pour plus de détaille veuillez consulter le chapitre premier du livre d’Alexandre Koyré : « du monde clos à l’univers infini », où vous retrouverez un développement plus précis sur la conception cosmologique de Nicolas de Cues.  



**Pour les lecteurs qui désirent en savoir plus sur ce sujet veuillez voir le livre de Pierre Duhem « Le système du monde », tome X, chapitre III consacré par l’auteur à la philosophie de Nicolas de Cues.



***Il est très important de relire le dialogue de Platon « le sophiste », et l’interprétation qu’il a reçue de la part d’Aristote, interprétation qui dévoile les apories auxquelles conduit le discours des sophistes quant à la possibilité de l’ontologie c’est-à-dire la possibilité d’un discours sensé sur l’Être. Et le plus important aussi est de revoir le destin qu’avait connu ce débat dans le contexte du néoplatonisme païen et chrétien. 

 NOTES DU TEXTE


1-      De Cues Nicolas : La docte Ignorance, Editions Flammarion, Paris, 2013. P. 45
2-      Ibid. . P. 44
3-      Koyré Alexandre : Du monde clos à l’univers infini, PUF, 1962. P. 20
4-      De Cues Nicolas : La docte Ignorance, Editions Flammarion, Paris, 2013. P. 46
5-      Ibid. P. 47-48
6-      Ibid. P. 48
7-      Ibid. P. 49
8-      Ibid. P. 49
9-      Ibid. P. 49
10-  Ibid. P. 44
11-  Ibid. P. 51
12-  Ibid. P. 51
13-  Ibid. P. 51
14-  Ibid. P. 53



*Cette définition du maximum, qui n’est que dieu, reprend autrement l’argument de Saint Anselme qui concerne les preuves de son existence.
** Dans une métaphysique imprégnée, comme celle de Nicolas de Cues, par le néoplatonisme la contraction est ce passage de l’unité à la multiplicité, ou de l’un au multiple.    
***De Cues justifiera cette coïncidence par le fait qu’ils sont tous les deux des entités maximales : le minimum « maximal » et le maximum « maximal », entendu comme étant deux absolus.
**** Cette idée d’un être qui serait au-delà de l’être est paradoxale, car comment une chose qui n’est pas, peut-elle engendrée l’être ? C’est, une fois encore, l’interprétation néoplatonicienne de certains passages du livre VII de la république de Platon qui s’y trouve engagée.  


  






  
                



  
     

mardi 22 novembre 2016



Les fondements de la connaissance humaine
Chez Condillac
-4-

IV- De l’origine de l’imagination, la mémoire et la contemplation

Quelle-est l’origine de l’imagination, la mémoire et la contemplation ? Et comment s’engendrent-elles ?
L’attention est responsable de la persistance des perceptions dans notre esprit. Ces dernières, comme c’est déjà démontré, sont dues à l’impact des objets du monde extérieur. Et c’est de leurs liaisons que naissent plusieurs autres opérations de l’âme, y compris la réminiscence.
Ainsi, la première de ces opérations est l’imagination. Elle est la remontée en surface d’une perception dès la vue d’un objet. Cette opération  n’est que la conséquence de la liaison opérée par l’attention entre ce-dernier et la perception correspondante. Parfois même il suffit d’entendre le nom de l’objet désigné pour que la perception apparaisse.
La deuxième est la mémoire. Celle-ci permet l’évocation d’une idée générale de la perception, et non pas la perception elle-même. Lorsque, par exemple, nous nous souvenons d’un parfum qui nous a été offert au jour de notre anniversaire, de son odorat nous nous représentons qu’une idée abstraite de la perception qui s’y rattache.  
Enfin, la contemplation est due à la liaison qu’opère l’attention entre nos idées. C’est grâce à elle que nous pouvons penser aux choses absentes. A’ partir d’elle nous pouvons aussi référer ces choses soit à l’imagination, si cette contemplation conserve la perception même ; soit à la mémoire si elle n’en conserve que le nom ou certaines circonstances générales et abstraites qui y sont liées.
En outre, pour dissiper la confusion qui régnait parmi les philosophes, confusion entre l’imagination et la mémoire, Condillac propose de bien distinguer ces opérations, vue l’importance qu’elle revêt pour comprendre la génération des autres opérations de l’âme.
En effet, certains philosophes, et en premier lieu Locke, ont cru que les circonstances qui entourent la perception ou quelque idée générale qui s’y rattache sont bien la perception même de l’objet. Pour expliciter le nœud de l’embrouille Condillac nous dit : « Jusqu’ici, ce que les philosophes ont dit à cette occasion, est si confus, qu’on peut souvent appliquer à la mémoire ce qu’ils disent de l’imagination, et à l’imagination ce qu’ils disent de la mémoire. »(1)
Pour ce faire, Condillac entreprend de différencier nos diverses perceptions, et d’examiner chacune dans leur ordre. Ainsi, l’idée de l’étendu est facilement représentable, car elle est fortement liée aux sensations qui l’occasionnent ; et, au surplus, elle est modifiable, c’est-à-dire qu’on peut la généraliser.
Mais, concernant la grandeur d’un corps, il s’avère difficile pour nous d’évoquer la perception liée à elle faute d’idée absolue qui peut nous servir d’étalon de mesure fixe. Par conséquent, notre esprit ne peut se souvenir que de noms de mesures traduits par des unités comme le centième ou le mètre, par exemple.
Grâce à ces deux idées, c’est-à-dire l’étendue et la grandeur, nous pouvons évoquer les figures simples, même en l’absence des objets. Néanmoins, à mesure que le nombre des côtés augmente, il devient impossible pour nous d’en représenter l’image. Pour s’en convaincre, il suffit de penser, à titre d’exemple, à un polygone qui aurait mille côtés. Dans ce cas, nous nous représentons que le nom du polygone concerné et non pas la perception qui y correspond. En outre, le discernement des différentes idées simples constitutives des noms, se fait d’une manière successive, chose qu’on ne peut attribuer, selon Condillac, à la mémoire.
De fait, il n’y a que l’imagination qui puisse accomplir une telle tâche moyennant ce qu’il appelle l’ordre et la symétrie. Ces dernièrs sont les deux points fixes auxquels elle, c’est-à-dire l’imagination, réduit le tout, « Que je songe, dit Condillac, à un beau visage, les yeux ou d’autres traits, qui m’auront le plus frappé, s’offriront d’abord ; et ce sera relativement à ces premiers traits que les autres viendront prendre place dans mon imagination. »(2)
Autrement dit, nous commençons d’abord par considérer les parties, et en suivant un ordre, disons croissant, nous accédons à l’idée du tout.
En revanche, des sensations telles que celle de goût, de son, de couleur etc, ne laissent aucune perception en nous, une fois que les objets qui les motivent disparaissent. Dans ce cas, alors, ces genres de perceptions ne peuvent nullement être modifiés de façon à ce qu’ils deviennent applicables à d’autres objets : une orange par exemple.
Par contre, je peux me représenter par symétrie les dimensions de mon automobile, en les comparant aux dimensions d’une autre automobile. C’est pourquoi, s’agissant de sensations de goût, de couleur...etc il est impossible d’user de l’ordre et de la symétrie pour soutenir notre imagination.
Ainsi, la distinction entre l’imagination, la mémoire et la réminiscence est due, selon Condillac, à un certain progrès qui s’établit de l’une à l’autre de ces opérations. La première nous aide à évoquer la perception même, la deuxième les signes et les circonstances qui l’entourent, alors que la dernière nous amène à reconnaître les perceptions que nous avons déjà eues.   

Tarik kamal : 06-11-2016   


       

1-      Condillac : Essai sur l’origine des connaissances humaines, Editions Galilée, 1973. P. 122
2-      Ibid. P. 123