dimanche 23 octobre 2016



Saint Thomas : Critique d’Averroès
- Article 7
En vue de défendre sa thèse selon laquelle l’intellect est inséparable de l’âme, Saint Thomas a eu recours non seulement à la théorie de la connaissance, mais aussi à la philosophie morale.
En effet, soutenir les principes qu’adoptent les averroïstes, c’est saper mêmes les fondements d’une telle philosophie. Autrement dit, si nous affirmons avec eux que l’intellect est une entité séparée de l’âme, nous serons amenés à dire la même chose sur notre volonté, car celle-ci dit Saint Thomas : « A son assise dans l’intellect » (1). En plus, nous serons obligés de priver l’homme de sa faculté de juger moralement.  Et c’est pour cette raison qu’il dit également : « Ainsi cet homme-ci ne sera pas maître de ses actes et aucun de ses actes ne sera plus ni louable ni condamnable, ce qui est jeter à bas les principes de la philosophie morale. »(2).
Cette façon de lier la volonté à l’intellect ne peut une fois de plus que prouver la nécessité pour l’intellect d’être une partie de l’âme qui est une forme du corps.
Mais, les averroïstes, quant à eux, reprochent  à Saint Thomas d’avoir fait de l’intellect une simple forme matérielle. En effet, s’il est ainsi, l’intellect ne pourra recevoir ses objets qu’individuellement et non pas universellement, comme c’est le cas dans la matière. En plus, s’il est vraiment une forme matérielle, celle-ci ne pourra jamais devenir une pensée en acte- C’est seulement par l’abstraction qu’une telle forme pourra sortir de la puissance à l’acte- et de cette façon l’intellect ne pourra non plus se penser lui-même.
Saint Thomas de sa part trouve que ces critiques sont dénuées de tout fondement et ne posent aucune difficulté. Il lui suffit de revoir sa thèse initiale pour les réfuter. En effet, l’âme est la forme d’un corps, l’intellect est l’une de ses puissances. Cependant, celui-ci n’est l’acte d’aucun organe, il est la partie immatérielle de l’âme, ainsi, dit Saint Thomas : « …L’âme, du point de vue de la puissance intellective, est immatérielle, qu’elle reçoit immatériellement et qu’elle se pense elle-même. »(3)
En revanche, certains averroïstes disent qu’une telle puissance ne peut être ni plus immatérielle ni plus simple que son essence. Objection que Saint Thomas refuse catégoriquement, en affirmant que l’essence de l’âme humaine est d’être forme d’une matière en fonction de son propre être. D’une manière plus appropriée, Saint Thomas veut dire que l’essence de notre âme ne dépend pas du composé âme/matière, comme c’en est le cas pour certaines formes, et c’est pourquoi elle est capable de contenir en elle-même une puissance qui ne requiert pas l’union avec la matière.
Ainsi, selon Saint Thomas, si on concède avec les averroïstes que l’intellect est séparé selon l’être et différent de l’âme qui est forme de notre corps, alors il sera une pensée toujours en acte. Il aura en lui-même une identité ininterrompue entre le pesant et le pensé. En plus, la connaissance qu’il aura de lui-même ne passera pas par l’intermédiaire des intelligibles** puisqu’ il la réalisera par son essence propre comme, d’ailleurs, les autres substances séparées. Il ne recourra pas, non plus, aux images pour penser du moment qu’il est une substance séparée.
Donc, conclut Saint Thomas : « La thèse affirmant que l’intellect est un certain principe séparé selon sa substance et que, pourtant, il est actualisé et rendu pensant en acte par des espèces reçues des images, est donc d’une grande improbabilité. »(4)

**  Concernant ce point, on reconnait le débat qui a pris un tournant décisif quatre siècle après la mort de Saint Thomas entre les cartésiens et les empiristes. Et c’est là, à mon avis, où réside le destin dont j’ai parlé lors de mon premier article : destin d’une culture qui a proclamé à voix haut l’autonomie de la raison, et le destin d’une autre qui attend encore. J’aimerais bien que mes chers lecteurs aient  cette remarque à l’esprit tout au long de cette analyse, afin qu’ils puissent saisir les enjeux de la critique thomiste. 




1-      Thomas d’Aquin : Contre Averroès, Editions Flammarion, Paris 1994.p. 153
2-      Ibid. p.155
3-      Ibid. p. 155
4-      Ibid. p. 157



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