dimanche 23 octobre 2016



Saint Thomas : Critique d’Averroès
- Article 6-

Rappelons les principaux points de notre sixième article. D’abord, admettre avec Averroès que l’intellect possible est une substance séparée, c’est admettre que l’homme Socrate, par exemple, n’est animé que par son âme végétative et sensitive. C’est soutenir aussi qu’il est privé de tout pouvoir de penser. Ensuite, nous avons vu que d’autres ont voulu sauver la thèse d’Averroès, en prétendant que la relation entre l’intellect possible et le corps est similaire à celle qu’on peut constater entre un « moteur » et un « mobile ».  
 Cependant, et en bon disciple d’Aristote, Saint Thomas ne peut accepter une telle conception, c’est-à-dire que  l’interprétation de la thèse d’Averroès à partir de la relation moteur/mobile n’est pas convaincante. Et puisque c’est toujours le moteur qui est le principe de l’action non le mobile, l’action de penser appartient à l’intellect séparé non pas à l’homme Socrate. C’est comme la scie, par exemple, elle coupe mais l’action de couper est l’œuvre de l’artisan.
 Néanmoins, ceci n’empêche pas que l’action puisse passer de l’agent actif vers l’objet passif. Dans un contexte aristotélicien, un tel objet peut acquérir les caractéristiques de l’agent. Par exemple, un objet chauffé par la chaleur d’un autre pourrait à son tour la transmettre à d’autres objets. Et c’est pour cette raison que Saint thomas dit : « Supposé donc qu’il y ait un certain intellect séparé mouvant Socrate, il faudra toujours que cet intellect possible, dont parle Aristote, soit dans  l’âme de Socrate tout comme le sens, qui est en puissance par rapport à tous les sensibles, et grâce auquel Socrate sent. »(1). Nous voyons par ce qui vient d’être énoncé, comment l’effort de Saint Thomas tend à confirmer et défendre sa thèse sur l’inséparabilité de l’intellect possible. Autrement dit, de même qu’un corps chauffé ne peut transmettre sa chaleur à un autre que s’il la possède en acte, l’homme Socrate, lui, ne peut penser ni transmettre la science à ses semblables que s’il a en lui-même le pouvoir d’effectuer l’action. Peut import qu’il reçoit le principe par quoi il pense d’une cause séparée, il reste vrai que c’est lui qui pense.
Peut-on également supposer que l’homme est un pur intellect ? Il faut rappeler dès le début, que les néoplatoniciens sont d’accord avec Platon pour dire que l’homme est principalement intellect ; Aristote, lui-même  affirme que la partie intellective est ce qu’il y a de plus noble en l’homme. Mais à la différence de Platon, Aristote ne croit pas qu’il est exclusivement intellect ou âme. D’ailleurs, c’est cette dernière opinion que partagent des néoplatoniciens comme Plotin et Simplicius dans leur interprétation de certaines œuvres du « stagirite ».
Que l’homme, selon Saint Thomas, ne soit pas seulement une âme ou seulement un corps est chose évidente. Et maintes raisons viennent le prouver. Parmi elles, Saint Thomas retient celle qu’expose Aristote dans son livre VII de la métaphysique. En effet, des universaux (chien, homme, cheval…) ne sont pas des formes pures, mais un composé de matière et de forme prises universellement. Quant à l’individu, il est le fruit d’une matière particulière, comme c’est le cas pour l’individu Socrate. Et puisque l’âme est composée de facultés : végétative, sensitive et intellective, alors aucune des parties du corps ne peut être définie sans une partie de l’âme. Cela confirme le fait que l’homme ne peut pas être uniquement une âme ou un intellect. Mais, il n’est pas non plus un simple corps, car l’œil, par exemple, ne voit que grâce à l’âme sensitive. Par conséquent, il faut confesser avec Aristote, dit Saint Thomas : « Que ce par quoi nous pensons, à titre premier, est espèce et forme. »(2). En effet, chaque espèce possède une forme qui la caractérise, et qui la différencié d’une autre. En outre, elle est déterminée par une opération propre. Celle-ci  n’est pour l’espèce Homme que l’action de penser. Donc, c’est pour une telle raison qu’on dit que l’individu Socrate pense. Et c’est ainsi qu’il est différent des autres espèces animales. Dès lors, la seule conclusion qui s’impose est que l’intellect est une partie de l’âme qui est l’acte d’un corps organisé.     

KAMAL ELGOTTI
KHENIFRA LE 16-06-2016




1-      Saint Thomas : Contre Averroès, Editions Flammarion, Paris, 1994.p. 149
2-      Ibid. p. 153

    

 

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