Les fondements de la connaissance
humaine
Chez Condillac
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V- Des opérations de l’âme et de leur
relation avec le besoin et les signes
Dans le
troisième chapitre, deux questions retiennent l’analyse de Condillac :
« La première, pourquoi nous avons le pouvoir de réveiller quelques-unes
de nos perceptions ; la seconde, pourquoi, quand ce pouvoir nous manque,
nous pouvons souvent nous en rappeler, au moins, les noms ou les
circonstances. »(1)
En ce qui
concerne la deuxième question, Condillac soutient que si nous sommes en mesure
d’évoquer les noms et les circonstances de quelques perceptions, ce qu’elles
nous sont familières. Elles seront ainsi l’objet principal de la première
question, puisque, selon lui, elles demandent plus d’éclaircissement.
Comme c’est
déjà mentionné, et à maintes reprises, l’attention est responsable de la
liaison faite entre nos diverses idées. De fait, si certains objets l’attire
c’est parce qu’ils répondent à nos besoins. En outre, s’il y a liaison entre
ces derniers et les objets qui les suscitent, c’est l’attention qui en est
responsable. En effet, dit-il : « à un besoin est liée l’idée de
la chose qui est propre à le soulager ; à cette idée est liée celle du
lieu où cette chose se rencontre ; à celle-ci celle des personnes qu’on y
vues ; à cette dernière les idées des plaisirs ou des chagrins qu’on a
reçus, et plusieurs autres. »(2)
Les
besoins sont donc liés à des idées ou perceptions fondamentales, auxquelles on
réduit toutes nos connaissances. Et c’est ainsi qu’une idée fondamentale
s’enchaîne à d’autres, et que ces dernières se relient à d’autres encore, et
ainsi de suite.
De plus,
Condillac fait une distinction entre ces dernières idées et d’autres qui en
dérivent, de façon à ce qu’il nous suffit d’évoquer les premières pour que les deuxièmes
surgissent aussitôt. Et ce pouvoir qu’on a d’évoquer des perceptions, et
d’évoquer les noms et les circonstances qui y sont liées, est dû à la liaison
qu’opère l’attention entre les choses et les besoins auxquels elles se
rapportent. Par conséquent, la permanence des deux facultés, c’est-à-dire
l’imagination et la mémoire est garantie par la permanence de cette liaison
même.
Mais,
quel est le rôle joué par l’usage des signes dans le développement de ces
diverses opérations, à savoir l’imagination, la mémoire et la
contemplation ?
D’abord,
Condillac instaure une distinction entre trois genres de signes :
1- Des
signes accidentels, composés des objets capables d’éveiller certaines idées
dans des circonstances données.
2- Des
signes naturels, des cris par quoi on exprime des sentiments de joie, de
douleur, de crainte…etc
3- Enfin,
ce qu’il appelle des signes d’institutions, comme ceux de notre langage, et qui ont une
relation arbitraire avec nos idées.
Ainsi,
distinction faite, qu’elles relation entretiennent ces opérations avec ces signes ? Nous avons déjà signalé que
l’imagination est une opération de l’âme due à la liaison qu’opère l’attention
entre un objet donné et la perception qui lui correspond, alors que la mémoire
est cette autre opération qui permet l’évocation générale de la perception,
c’est-à-dire le nom et les circonstances qui en sont liés, et non pas la
perception elle-même. Quant à la contemplation, elle est due à la liaison
qu’opère l’attention entre nos idées. Dès lors, comme la perception et la
conscience ne cessent de s’exercer, tant qu’on est éveillé, elles ne requièrent
nécessairement pas l’usage des signes ; car l’attention est conscience
d’une perception, celle-ci peut-être évoquée dès la vue de l’objet qui la
suscite sans un secours atténué de la part des signes.
Mais, ce
qu’il faut noter aussi est que Condillac fait une distinction nette entre, ce
que je peux appeler, le fonctionnement volontaire et involontaire de
l’imagination et de la réminiscence. En effet, et en l’absence des signes
arbitraires, l’imagination peut, grâce aux signes accidentels, être motivée en présence
de l’objet qui éveille en elle certaine perception. Cette dernière, en
revanche, ne peut-être évoquée en l’absence de cette cause extérieure, à savoir
l’objet. Donc, dépourvu d’une telle cause il n’est pas en notre pouvoir
d’utiliser volontairement notre imagination et d’éveiller par suite les
perceptions correspondantes. Ce même raisonnement s’applique aussitôt aux
signes naturels : c’est parce qu’une relation s’est établie entre un cri
donné, et le sentiment qui l’exprime, que ce dernier resurgit dès qu’on entend
le premier. Dans ce cas aussi, notre imagination ne pourrait fonctionner que si
nous aurions pu préalablement entendre un cri. Par conséquent, la présence des
seuls signes accidentels et naturels ne donnera lieu qu’à un usage involontaire
de notre imagination. En ce qui concerne la mémoire nous savons d’abord, selon
Condillac, que nos idées sont, quant à leur origine, des perceptions que
l’attention arrivait à lier avec des objets capables d’assouvir certains
besoins. En suite, et par l’usage des signes qui représentent de telles idées,
il devient en notre pouvoir d’actualiser ces dernières ou d’actualiser les
circonstances qui les accompagnent.
Ainsi, la
mémoire requiert forcement l’usage des signes arbitraires. Mais, à l’encontre
de l’imagination qui, elle, demeure involontaire puisque elle nécessite la
présence des signes accidentels et naturels pour opérer, l’acte de la mémoire
est un acte volontaire ; nous pouvons nous ressouvenir de n’importe quel
événement ou chose pourvu que nous le voulions. C’est pourquoi, conclut Condillac,
« Les bêtes n’ont point de mémoire et qu’elles n’ont qu’une imagination
dont elles ne sont point maîtresses de disposer. »(3) Pour qu’elles
puissent, c’est-à-dire les bêtes, se représenter une chose absente, il faut que
son image soit fortement liée à un objet présent. En outre, et suivant toujours
les conceptions de Condillac, ce n’est pas la mémoire qui les dirige vers le
lieu où se trouve la nourriture, mais c’est plutôt la liaison qui s’est établie
entre le sentiment de la faim et les idées du lieu considéré. La même analyse
peut-être appliquée à d’autres sentiments, comme la peur qu’elles éprouvent
face au danger. Plus encore, ces sentiments peuvent être transmis à leurs
petits par le simple contact avec leurs mères. Même nous, les humains, êtres doués
de raison, « Nous pouvons remarquer en nous quelque chose de
semblables dans les occasions où la réflexion serait trop lente pour nous faire
échapper à un danger. A la vue, par exemple, d’un corps prêt à nous écraser,
l’imagination nous retrace l’idée de la mort, ou quelque chose d’approchant, et
cette idée nous porte aussitôt à éviter le corps qui nous menace. Nous
péririons infailliblement si, dans ces moments, nous n’avions que le secours de
la mémoire et de la réflexion. »(4)
L’exercice
de notre imagination s’apparente dans maintes circonstances à une réflexion
raisonnée et bien dirigée. C’est grâce à elle, que nous arrivons, à titre
d’exemple, à éviter certains obstacles en conduisant sans y penser clairement
et distinctement, comme dans le cas où nous
sommes préoccupés par un morceau de musique que nous entendons. Ces genres de
phénomènes, et d’autres semblables, sont dus, selon Condillac, au principe de
la liaison des idées.
Ceci dit, l’exercice de l’imagination chez
l’homme est soit volontaire et raisonné, soit involontaire et spontané, comme
l’illustre bien l’exemple cité ci-dessus ; les animaux, eux, n’ont en leur
disposition que l’imagination pour s’orienter et survivre, elle est un
instinct « Qui, dit-il, à l’occasion d’un objet, réveille les
perceptions qui y sont immédiatement liées, et par ce moyen dirige, sans le
secours de la réflexion, toutes sortes d’animaux. »(5)
Cette
approche comparative élaborée par Condillac vise : la critique de certains
philosophes qui ont soit mis l’instinct à côté ou au-dessus de la raison, soit
rejetés l’instinct en considérant les animaux comme de simple automates. Par
conséquent, si il y a une différence entre l’homme et l’animal, il n’est qu’une
différence de degré : l’animal a, certes, une âme inférieure à la nôtre,
néanmoins il est capable d’user de la perception, la conscience, la
réminiscence, l’attention et l’imagination quoique ces opérations échappent au
contrôle de sa volonté.
En ce qui
concerne la contemplation, comme c’est déjà exposé, elle se rapporte soit à
l’imagination, de façon à ce qu’elle ne conserve que des perceptions, soit à la
mémoire d’une telle manière à ce qu’elle n’en conserve que les signes. En
effet, dit Condillac « Si on la fait consister à conserver les
perceptions, elle n’a, avant l’usage des signes d’institution, qu’un exercice
qui ne dépend pas de nous ; et elle n’en a point du tout, si on la fait
consister à conserver les signes mêmes. »(6)
Diriger,
donc, volontairement son attention passe par l’emprise de l’âme sur ses divers opérations
(imagination, mémoire, contemplation), c’est pourquoi dépourvue d’une telle
emprise, l’attention demeure fortement liée aux impressions qui émanent des
choses.
Mais, une
fois la mémoire formée grâce à la liaison volontaire opérée entre des idées et
des signes qui les représentent, l’homme sera du même coup en mesure de manier
à son gré l’imagination (qui n’est en effet que la liaison faite par
l’attention entre un objet et une perception), et aura ainsi sur elle un
pouvoir plus étendu.
Ce
pouvoir, donc, d’attacher des idées à des signes, arbitraires ou d’institution,
est ce qui marque, aux yeux de Condillac, la supériorité de l’âme humaine sur
celle des animaux.
Récapitulons :
le point de départ de la connaissance humaine est la perception, qui n’est que
l’impression suscitée dans l’âme grâce à l’action des sens. De là, Condillac
conclut que la perception et la conscience ne sont qu’une même opération sous
deux noms. Autrement dit, apercevoir quelque chose c’est en être conscient.
L’attention,
elle, est ce pouvoir qu’à la conscience de mettre en valeur une perception
plutôt qu’une autre. Et de la répétition et la succession de nos perceptions,
processus qui garantie notre identité, naît une autre opération : la
réminiscence.
Une fois
l’engendrement de ces opérations établit, il reste à savoir comment sur leur
base surgissent d’autres qui sont : l’imagination, la mémoire et la
contemplation.
En effet,
l’imagination est le surgissement d’une perception dès la vue d’un objet, et
c’est à l’attention que revient de lier celui-ci à celle-là. Mais, la mémoire
est cette habilité que nous avons à évoquer l’idée générale de la perception ou
les circonstances qui y sont liées, au lieu de la perception elle-même. La
contemplation, elle, naît de la liaison qu’opère l’attention entre nos diverses
idées, et c’est elle qui nous permet de penser aux choses absentes.
Enfin,
Condillac instaure une distinction entre trois genres de signes : signes
accidentels, signes naturels et signes arbitraires. Si les deux premiers signes
sont communs à l’homme et à l’animal, les derniers, en revanche, sont propre à
l’homme et à lui seul. Ainsi, la différence entre ce-dernier et l’animal est
une différence de degré puisque tous les deux ont une âme, sauf que celle de
l’homme est supérieure à celle de l’animal. Cette supériorité découle du fait
que les hommes ont à leur disposition ces signes arbitraires qui les rendent
maîtres non pas seulement de leur mémoire, mais aussi maîtres de toutes autres
opérations de leurs âmes. Ce sont ces derniers signes qui nous permettent de
prendre distance vis-à-vis du monde qui
nous entour, et, au même temps, de le maîtriser et le manipuler pour accomplir
nos fins.
KAMAL
ELGOTTI : LE 19-03-2017
KHENIFRA.