mardi 1 novembre 2016



Les fondements de la connaissance humaine
Chez Condillac
-3-
III- Des opérations de l’âme et de leur génération.
Comment les opérations de l’âme, surtout celles liées à l’entendement, s’engendrent-elles ?
Et comment la perception y contribue-t-elle ?
1- La perception
« La perception, dit Condillac, ou l’impression occasionnée dans l’âme par l’action des sens, est la première opération de l’entendement. » (1) Autrement dit, elle est une impression que nous ressentons au fond de nous-mêmes suite à notre contact avec le monde extérieure via les sens. C’est pourquoi la connaissance du monde qui nous environne requiert obligatoirement la perception comme point de départ. Par conséquent, un objet non perçu est un objet que l’âme ne peut aucunement connaître ; car, ce sont les sens qui nous ouvrent sur le monde et nous mettent devant ses fluctuations incessantes. De surcroît, ce n’est pas par hasard qu’Aristote soutenait qu’un sens de moins signifie une science de moins.
En revanche, si nous pouvons imaginer des êtres doués, ayant des sens plus puissants que les nôtres, alors ils détiendront une connaissance plus parfaite encore que celle que nous détenons. De ce fait, la perception est le niveau le plus bas de la connaissance, et connaître c’est d’abord apercevoir.
2- La conscience
 Y-a- il une différence entre la perception et la conscience ? Et l’âme possède-t-elle vraiment des perceptions dont elle ne pourrait avoir connaissance ?
Deux questions qui suffisent, dans un certain sens, pour résumer le débat entre les Lockéens et les Cartésiens. En effet, Condillac n’hésite pas à écarter ces derniers au profit des premiers, surtout quand il affirme que la conscience est la connaissance qu’a l’âme de ses propres perceptions. Et c’est cette thèse même que les Cartésiens refusaient d’admettre, en postulant l’existence de perceptions qui seraient dans l’âme sans qu’elle en  prenne conscience. Mais, selon l’avis même de Locke, ce serait dire des absurdités si on soutenait avec eux, c’est-à-dire avec les Cartésiens, l’idée d’une perception que l’âme  ignorerait et dont elle ne pourrait avoir connaissance.
Par conséquent, la perception et la conscience forment toutes les deux une seule et même opération. Ainsi, percevoir quelque chose c’est en être conscient. Alors que si on les  distingue, nous serons amenés à reconnaître que toute connaissance part de la conscience et non de la perception. Une telle prise de position est de facto un retranchement dans une attitude Cartésienne, que Condillac, suite à Locke, ne peut nullement soutenir.
3- L’attention 
La conscience et la perception reflètent donc une même opération. De là il s’avère légitime de s’interroger sur la signification de l’attention et la manière avec laquelle elle s’engendre.
De fait, nous sommes continuellement bombardés et submergés par de nombreuses et diverses perceptions, jusqu’au point où il nous arrive de ne plus pouvoir les distinguer les unes des autres. Cependant, quand nous dirigeons et fixons notre conscience sur une perception plutôt que sur une autre, alors l’une d’elle persiste tandis que l’autre s’éteint sans que nous puissions s’en souvenir. Cette conscience vive et intense qui met en perspective une perception, comme s’elle est la seule qui existe, est ce que Condillac appelle : l’attention. Ainsi, il établie une distinction entre deux sortes de perceptions : des perceptions qui demeurent plus au moins longtemps, et celles qui s’éteignent aussitôt reçues. 
Le but, au moins apparent, que vise Condillac à travers cette distinction, est de réfuter la thèse des Cartésiens qui parlent des perceptions qui seraient méconnues de l’âme, autrement des perceptions « inconscientes ». Ainsi, il dit : « Je pense donc que nous avons toujours conscience des impressions qui se font dans l’âme, mais quelquefois d’une manière si légère, qu’un moment après nous ne nous en souvenons plus. »(2) C’est cet état qui nous donne l’impression que nous avons des perceptions dont nous ne sommes pas conscients. En effet, c’est comme le cas où nous nous trouvons devant un paysage ou un tableau ; si nous  ne fixons pas notre attention sur l’objet de notre perception avec ses détails et ses nuances, nous aurons un souvenir vague, ou plutôt nous n’aurons aucun souvenir. Et puisque l’attention n’est qu’une conscience dirigée fermement vers une perception au lieu d’une autre, alors, dit Condillac : « La perception et la conscience ne sont qu’une même opération sous deux noms. »(3)
En vertu de ce qui vient d’être exposé, il est manifeste que la perception a deux aspects   « d’existences » : d’abord un aspect passif où elle demeure une simple perception présente dans l’âme, et un aspect actif où elle éveille et signale sa présence dans celle-ci, et dans ce cas elle s’appelle : conscience.   
4- La réminiscence
D’où vient donc le fait que certaines choses attirent ou affectent notre âme plus que d’autres ?
C’est à l’occasion de cette question, comme d’ailleurs Locke et Hume, que se révèle l’analyse « psychologique » à la quelle se livre Condillac dans son étude des opérations de l’âme. Ce dernier estime en effet que si nous focalisons notre attention sur des objets plutôt que sur d’autres, c’est parce que les premiers ont plus d’intérêt pour nous. Ils s’accommodent mieux avec notre tempérament, nos passions et même avec notre « égoïsme ». Ces divers états de l’âme ont un énorme impacte sur les jugements que nous portons sur les choses et les événements. Une chose est d’autant mieux ou agréable qu’une autre en proportion de son intensité et sa capacité d’attirer notre intention.
En outre, nos perceptions se répètent de façon à devenir une partie intégrante de notre propre être. Et c’est grâce à cette répétition et grâce à la liaison de nos perceptions que nous acquérons constamment la certitude que nous sommes les mêmes personnes. Et c’est ainsi que nous garantissons notre identité personnelle dans le temps et l’espace. Par suite, de cette capacité que nous avons à saisir la répétition et la succession des perceptions, un autre aspect caractéristique de la conscience se révèle, et que Condillac appela : la réminiscence. C’est à cause de cette nouvelle opération aussi que nous arrivons à reconnaître les événements, du présent et du passé, constitutifs de notre vie. Car, sans cette opération de la conscience : « …chaque moments de la vie, dit Condillac, nous paraît le premier de notre existence, et notre connaissance ne s’étendrait jamais au-delà d’une première perception… »(4) De fait, l’analyse de la réminiscence incita Condillac à y distinguer  aussi deux aspects : avant tout, la réminiscence est ce qui nous rend capable de reconnaître notre être ; elle est, en suite, ce qui nous fait reconnaitre les perceptions qui s’y répètent.
Somme toute, conclut-il : « D’abord il n’y a dans l’âme qu’une simple perception, qui n’est que l’impression qu’elle reçoit à la présence des objets : de-là naissent dans leur ordre les trois autres opérations. Cette impression considérée comme avertissant l’âme de sa présence, est ce que j’appelle conscience. Si la connaissance qu’on en prend est telle qu’elle paraisse la seule perception dont ait conscience, c’est attention. Enfin, quand elle se fait connaître comme ayant déjà affecté l’âme, c’est réminiscence. La conscience dit en quelque sorte à l’âme, voilà une perception : l’attention, voilà une perception qui est la seule que vous ayez : la réminiscence, voilà une perception que vous avez déjà eue. »(5)

Tarik Kamal : le 12-10-2016 à Khénifra        






1-      Condillac : Essai sur l’origine des connaissances humaines, Editions Galilée, 1973.P. 115
2-      Ibid. P. 117
3-      Ibid. P. 119
4-      Ibid. P. 120
5-      Ibid. P. 120






                

 

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