Les fondements de la connaissance
humaine
Chez Condillac
-1-
I- Les
matériaux de la connaissance humaine
Nous restons nous-mêmes le point de départ et le
fondement, quoique nous dirigions notre attention vers le monde extérieur ou
intérieur. Et l’origine de toutes nos connaissances ne peut se ramener qu’a une
pensée simple et première, elle-même en relation avec d’autres pensées qui lui
succèdent.
Mais, chercher à savoir la nature de nos pensées, c’est
s’engager dans un chemin sans issu. L’essentiel est que « nous sentons
notre pensée ; nous la distinguons parfaitement de tout ce qui n’est point
elle ; nous distinguons même toutes nos pensées les unes des autres :
c’en est assez. » (1). C’est la’ pour Condillac le point de départ le plus
sûr et le plus clair, que nous
connaissons, et qui nous épargne de l’erreur. Quant aux nombres de nos pensées,
ils peuvent se ramener à deux : celles qui résultent des différentes
sensations, telles que la douleur, le plaisir, la lumière…etc. Et puis celles
qui concernent les idées des différentes opérations de l’âme, comme l’aperception
et l’imagination. Ces deux derniers genres d’idées sont dus à l’impact
intérieur des sensations en nous, au moment où nous y réfléchissons. Ces
sensations et ces opérations forment les matériaux de toutes nos connaissances.
Matériaux sur lesquels s’exercent notre activité de réflexion et nos
raisonnements. Ainsi, Condillac est amené à conclure : « Qu’il n’y a
point d’idées qui ne soient acquises : les premières viennent immédiatement
des sens ; les autres sont dues à l’expérience, et se multiplient à
proportion qu’on est plus capable de réfléchir. »(2).
Quant à l’âme, elle est une substance différente du
corps, déclara Condillac. Si elle n’en diffère pas, comme certains philosophes
l’ont soutenu à tort, alors elle ne sera pas une substance unique. Elle sera
plutôt multiple, puisque le corps est un assemblage de substances. Comme
argument, il évoque l’opération de la pensée : peut-elle être divisée en
proportion des substances qui composent le corps ? Et dans un cas pareil,
peut-on parler d’une perception unique et indivisible ? Impossible dit-il.
Soit également trois perceptions différentes, chacune d’elles liées à trois
substances du même corps, comment peut-on faire une comparaison entre
elles ? Là encore nous retrouvons
la même difficulté. Donc la seule conclusion concevable est qu’il faut ce que
Condillac appelle « un point de réunion » (3) distinct du corps,
c’est-à-dire une substance unique, une âme.
C’est pourquoi Locke, aux yeux
de Condillac, s’est manifestement trompé quand il a déclaré que nous
sommes incapables de prouver que
Dieu n’a pas doué la matière d’un pouvoir quelconque de penser. Mais pour
réfuter une telle idée « Il suffit, dit-il, de remarquer que le sujet de
la pensée doit être un. Or un amas de matière n’est pas un ; c’est une
multitude. »(4).Une telle position aura, sans aucun doute, des
conséquences insoupçonnables sur la théorie de la connaissance Condillacienne,
comme on va progressivement le constater par la suite.
En fin,
métaphysiquement Condillac a établi une différence entre l’état de l’âme avant
sa « chute » et après la chute. Avant, elle possédait toutes les
connaissances possibles sans aucun concours de la part des sens. Après, elle
s’est trouvée dans l’ignorance totale. Par cette distinction, il semble que
Condillac veuille écarter la théorie cartésienne des idées innées. Ce qui
atteste une telle conclusion est que lui-même affirme que l’objet propre de la
philosophie est l’état de l’âme en quête de la connaissance. Cette quête qui ne
peut se réaliser qu’en partant des données sensibles. « Ainsi, dit-il, il
ne s’agit pas de considérer l’âme comme indépendante du corps, puisque sa
dépendance n’est que trop bien constatée, ni comme unie à un corps dans un système
différent de celui où nous sommes. Notre unique objet doit être de consulter
l’expérience, et de ne raisonner que d’après des faits que personne ne puisse
révoquer en doute. »(5)
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