mardi 22 novembre 2016



Les fondements de la connaissance humaine
Chez Condillac
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IV- De l’origine de l’imagination, la mémoire et la contemplation

Quelle-est l’origine de l’imagination, la mémoire et la contemplation ? Et comment s’engendrent-elles ?
L’attention est responsable de la persistance des perceptions dans notre esprit. Ces dernières, comme c’est déjà démontré, sont dues à l’impact des objets du monde extérieur. Et c’est de leurs liaisons que naissent plusieurs autres opérations de l’âme, y compris la réminiscence.
Ainsi, la première de ces opérations est l’imagination. Elle est la remontée en surface d’une perception dès la vue d’un objet. Cette opération  n’est que la conséquence de la liaison opérée par l’attention entre ce-dernier et la perception correspondante. Parfois même il suffit d’entendre le nom de l’objet désigné pour que la perception apparaisse.
La deuxième est la mémoire. Celle-ci permet l’évocation d’une idée générale de la perception, et non pas la perception elle-même. Lorsque, par exemple, nous nous souvenons d’un parfum qui nous a été offert au jour de notre anniversaire, de son odorat nous nous représentons qu’une idée abstraite de la perception qui s’y rattache.  
Enfin, la contemplation est due à la liaison qu’opère l’attention entre nos idées. C’est grâce à elle que nous pouvons penser aux choses absentes. A’ partir d’elle nous pouvons aussi référer ces choses soit à l’imagination, si cette contemplation conserve la perception même ; soit à la mémoire si elle n’en conserve que le nom ou certaines circonstances générales et abstraites qui y sont liées.
En outre, pour dissiper la confusion qui régnait parmi les philosophes, confusion entre l’imagination et la mémoire, Condillac propose de bien distinguer ces opérations, vue l’importance qu’elle revêt pour comprendre la génération des autres opérations de l’âme.
En effet, certains philosophes, et en premier lieu Locke, ont cru que les circonstances qui entourent la perception ou quelque idée générale qui s’y rattache sont bien la perception même de l’objet. Pour expliciter le nœud de l’embrouille Condillac nous dit : « Jusqu’ici, ce que les philosophes ont dit à cette occasion, est si confus, qu’on peut souvent appliquer à la mémoire ce qu’ils disent de l’imagination, et à l’imagination ce qu’ils disent de la mémoire. »(1)
Pour ce faire, Condillac entreprend de différencier nos diverses perceptions, et d’examiner chacune dans leur ordre. Ainsi, l’idée de l’étendu est facilement représentable, car elle est fortement liée aux sensations qui l’occasionnent ; et, au surplus, elle est modifiable, c’est-à-dire qu’on peut la généraliser.
Mais, concernant la grandeur d’un corps, il s’avère difficile pour nous d’évoquer la perception liée à elle faute d’idée absolue qui peut nous servir d’étalon de mesure fixe. Par conséquent, notre esprit ne peut se souvenir que de noms de mesures traduits par des unités comme le centième ou le mètre, par exemple.
Grâce à ces deux idées, c’est-à-dire l’étendue et la grandeur, nous pouvons évoquer les figures simples, même en l’absence des objets. Néanmoins, à mesure que le nombre des côtés augmente, il devient impossible pour nous d’en représenter l’image. Pour s’en convaincre, il suffit de penser, à titre d’exemple, à un polygone qui aurait mille côtés. Dans ce cas, nous nous représentons que le nom du polygone concerné et non pas la perception qui y correspond. En outre, le discernement des différentes idées simples constitutives des noms, se fait d’une manière successive, chose qu’on ne peut attribuer, selon Condillac, à la mémoire.
De fait, il n’y a que l’imagination qui puisse accomplir une telle tâche moyennant ce qu’il appelle l’ordre et la symétrie. Ces dernièrs sont les deux points fixes auxquels elle, c’est-à-dire l’imagination, réduit le tout, « Que je songe, dit Condillac, à un beau visage, les yeux ou d’autres traits, qui m’auront le plus frappé, s’offriront d’abord ; et ce sera relativement à ces premiers traits que les autres viendront prendre place dans mon imagination. »(2)
Autrement dit, nous commençons d’abord par considérer les parties, et en suivant un ordre, disons croissant, nous accédons à l’idée du tout.
En revanche, des sensations telles que celle de goût, de son, de couleur etc, ne laissent aucune perception en nous, une fois que les objets qui les motivent disparaissent. Dans ce cas, alors, ces genres de perceptions ne peuvent nullement être modifiés de façon à ce qu’ils deviennent applicables à d’autres objets : une orange par exemple.
Par contre, je peux me représenter par symétrie les dimensions de mon automobile, en les comparant aux dimensions d’une autre automobile. C’est pourquoi, s’agissant de sensations de goût, de couleur...etc il est impossible d’user de l’ordre et de la symétrie pour soutenir notre imagination.
Ainsi, la distinction entre l’imagination, la mémoire et la réminiscence est due, selon Condillac, à un certain progrès qui s’établit de l’une à l’autre de ces opérations. La première nous aide à évoquer la perception même, la deuxième les signes et les circonstances qui l’entourent, alors que la dernière nous amène à reconnaître les perceptions que nous avons déjà eues.   

Tarik kamal : 06-11-2016   


       

1-      Condillac : Essai sur l’origine des connaissances humaines, Editions Galilée, 1973. P. 122
2-      Ibid. P. 123

          



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