« Le hasard et la nécessité »
de Jacques Monod
Approche critique
-2-
3- La
téléonomie : protéines « intelligentes » ou « démons »
de Maxwell
Pour
soutenir sa thèse qui postule la priorité de l’invariance sur la téléonomie,
Monod s’attache à démontrer que le mécanisme téléonomique des êtres vivants
n’est sûrement pas quelque chose qui serait transcendant à eux ; il en est
plutôt une partie intégrante. Ce mécanisme se révèle à travers trois fonctions
que Monod attribue aux protéines, ce sont : la fonction catalytique,
régulatrice et constructive. En effet, dit-il : « La notion de
téléonomie implique l’idée d’une activité orientée, cohérente et
constructive. Par ces critères les protéines doivent être considérées comme
les agents moléculaires essentiels des performances téléonomiques des êtres
vivants. »(1) De fait, l’organisme
des êtres vivants est vu pas Monod comme étant une machine caractérisée par son
processus chimique, par son unité fonctionnelle cohérente et intégrée, et enfin
par sa capacité à se construire elle-même. Ces performances téléonomiques
des protéines reposent sur leurs
propriétés « stéréospécifiques » : « c’est-à-dire,
dit Monod, leur capacité de ‘’reconnaître’’ d’autres molécules (y compris
d’autres protéines) d’après leur forme, qui est déterminée par leur structure
moléculaire. »(2) Et afin de bien expliciter cette capacité qui
caractérise les protéines, c’est à l’image du démon de Maxwell que Monod
recours. En effet, pour contrecarrer le deuxième principe de la
thermodynamique, Maxwell imagine un démon qui serait capable
de répartir les particules d’un gaz dans une enceinte, formée de deux
compartiments, de façon à ce que les particules les plus rapides (de haute
énergie) puissent passer dans le deuxième compartiment, alors que les lentes (de faible
énergie) puissent demeurer dans le premier. Ainsi, au lieu qu’elles aient la
même température à la fin du processus, les particules du gaz des deux
compartiments finissent par avoir des températures différentes, chose qui viole
carrément le deuxième principe de la thermodynamique. Cette fonction
« cognitive », selon Monod, qu’exerce ce démon met les physiciens
devant un « paradoxe » qui semble bien transgresser l’un des
principes fondamentaux de la physique. Néanmoins, ce fameux paradoxe a été
résolu grâce aux travaux du physicien « Léon Brillouin ». Ce dernier,
dit Monod : « Démontra que l’exercice de ses fonctions
cognitives par le démon devait nécessairement consommer une certaine
quantité d’énergie qui, dans le bilan de l’opération, compensait précisément la
diminution d’entropie du système. »(2) Autrement dit, tout échange
d’information entre le démon et les particules du gaz, pour les distribuer
selon la répartition mentionnée ci-dessus, nécessite une interaction qui exige
une consommation d’énergie. Si donc les
organismes vivants défient ce deuxième principe, c’est du côté des protéines,
avec leurs fonctions « démoniaques », qu’il faudra chercher la vraie
cause. En effet les enzymes, comme sorte de protéines, « fonctionnent, dit
Monod, exactement à la manière du démon de Maxwell corrigé par Szilard et
Brillouin, drainant le potentiel chimique dans les voies choisies par le
programme dont ils sont les exécutants. »(3) Mais, cette fonctionnalité
caractéristique des enzymes, et des protéines, et qui contribue au rétablissement de l’ordre au
sein des êtres vivant, exige une consommation de potentiel chimique,
c’est-à-dire un échange obligatoire d’information qui contribue ainsi à
éliminer le paradoxe que révèle et la téléonomie et l’invariance.
4- La
question de la méthode
Afin de
mettre la lumière sur l’aspect téléonomique qui caractérise les vivants, Monod
avait consacré le troisième chapitre de son livre à l’analyse de la fonction
catalytique des enzymes ; fonction qui les rendaient similaire au démon de
Maxwell, sans pour autant violer le seconde principe de la thermodynamique. Au
quatrième chapitre il tente d’expliciter la fonction régulatrice et
coordinatrice caractéristique des protéines, fonction qui démontre une fois de
plus le « comportement téléonomique » qui les détermine. Ainsi,
dit-il, « En vertu même de son système spécifique, un enzyme ‘’classique’’…
constitue une unité fonctionnelle totalement indépendante. La fonction
‘’cognitive’’ de ces ‘’démons’’ se borne à la reconnaissance de leur substrat
spécifique, à l’exclusion de tout autre corps comme de tout événement qui
puisse se produire dans la machinerie chimique de la cellule.
(…) la
somme totale de ces activités (à savoir des enzymes) ne pourrait conduire que
chaos si elles n’étaient pas, en quelque manière, asservies les unes au autres
pour former un système cohérent. Or on a par ailleurs les preuves les plus
manifestes de l’efficacité extrême de la machinerie chimique des êtres
vivants, des plus ‘’simples’’ aux plus ‘’complexes’’.
Chez les
animaux on connaît bien entendu depuis longtemps l’existence de système
assurant la coordination à grande échelle des performances de l’organisme.
Telles sont les fonctions du système nerveux et du système endocrine. Ces
systèmes assurent la coordination entre organes ou tissus, c’est-à-dire en
définitive, entre cellules. Qu’au sein de chaque cellule un réseau cybernétique
presque aussi complexe…assure la cohérence fonctionnelle de la machinerie
chimique intracellulaire… »(4) Que peut-on donc déduire de ce texte ?
Le point le plus important qu’on peut en déduire est que les constituants
essentiels qui confèrent aux êtres vivants leurs propriétés, y compris
téléonomique, sont des constituants microscopiques hautement organisés. Leur
travail est, selon Monod, similaire à celui qu’effectue une machine chimique
qui fonctionne, d’un point de vue organisationnel, comme un système
cybernétique qui coordonne les interactions à l’intérieur de la cellule. Et
c’est les protéines qui jouent le rôle le plus important dans ce processus.
Mais, il reste à savoir que ces processus, ces interactions et ces constituants
exigent une méthode d’investigation appropriée autant à la nature de l’objet
qu’à l’objectif de la recherche. De fait, quelle méthode adéquate faut-il pour
de tels objets ?
Les êtres
vivants sont des organismes complexes, c’est pourquoi une discussion sur la
nature de la méthode appropriée pour les étudier s’impose avec force. Pour ce
le faire, Monod revient à l’ancienne confrontation entre les
« réductionniste » et les « organicistes ». En effet, les
représentants de tendances qualifiées d’hégéliennes par Monod, estiment que
l’approche analytique, quand il s’agit d’être complexe comme les vivants, est
inopérante. Les organicistes et les holistes considèrent la méthode analytique comme
étant une méthode stérile, car elle tend à réduire les propriétés d’organismes
complexes à la somme des parties qui les constituent ; autrement dit, ils
nient la possibilité de voir et de concevoir le « tout » à partir de
ces « parties ». Cependant, Monod, estime de sa part que les
« holistes » ignorent la nature propre de la méthode scientifique, et
le rôle que joue l’analyse dans une telle méthode ; de fait, se
demande-il : « Peut-on seulement concevoir qu’un ingénieur
martien, voulant interpréter le fonctionnement d’une calculatrice terrienne, puise
parvenir à un résultat quelconque s’il se refusait, par principe, à disséquer
les composants électroniques de base qui effectuent les opérations de l’algèbre
propositionnelle ? »(5) Si
Monod avait donc entamé une discussion sur le champ de la cybernétique
microscopique, comme étant l’un des champs les plus importants de la biologie
moléculaire, c’est pour affirmer la stérilité des thèses organicistes face à la
fécondité de la méthode analytique. Ainsi, les performances téléonomiques ne
sont pas une marque qui serait caractéristique des systèmes complexes, puisque
la molécule de la protéine n’est pas capable seulement d’activer sélectivement
certaines interactions, mais capable aussi d’organiser son activité en fonction
d’un nombre importants d’informations chimiques. L’étude donc de ces systèmes
microscopiques révèle en fin de compte la complexité, la richesse et la force
de ce réseau cybernétique chez les êtres vivants, ce qui surpasse de loin ce
qu’une étude générale des performances des organismes peut nous en révéler. En
somme, Monod estime qu’il n’y a aucune possibilité d’accéder à des résultats importants,
concernant les vivants, si on demeure dans l’horizon de la méthode holiste,
telle qu’elle s’est manifestée, entre autres, dans la « théorie générale
des système » de L.V.Bertalanfy.
5- Ontogénèse
moléculaire et la question du hasard.
Les
protéines jouent donc un rôle culminant, par leur fonction catalytique et
régulatrice, dans le processus de structuration de l’aspect téléonomique des
êtres vivants. Ce rôle a ses conséquences philosophiques et épistémologiques
que nous avons essayé de relater tout au long de l’analyse précédente. Dans le
cinquième chapitre Monod tente d’expliquer comment le processus morphogénétique
spontané et autonome repose sur les propriétés de reconnaissance
« stéréospécifique » des protéines, et se déroule au niveau
microscopique avant de se manifester au niveau des structures macroscopiques.
C’est donc dans ces structures protéiniques élémentaires qu’il cherchait le
« secret » de ces propriétés cognitives qui faisaient des protéines des
« démons de Maxwell » capables d’activer et de construire les
systèmes vivants.
De fait,
le débat entre les « préformationnistes », qui croyaient que l’œuf
contenait une miniature de l’animal adulte, et les « épigénétistes »,
qui eux croyaient à un enrichissement réel de l’information initiale, a perdu
tout intérêt, car une structure achevée et qui serait en outre préformé n’est
qu’une chimère. Cependant, le plan d’une telle structure, selon Monod, demeure pour autant présent dans ses constituants
eux-mêmes. Ainsi, il peut se manifester d’une manière autonome et spontanée
sans l’intervention d’agents extérieures, et sans injonction d’information
nouvelle. Cette dernière était présente mais non manifeste dans les
constituants. Par conséquent, dit Monod : « La construction
épigénétique d’une structure n’est pas une création, c’est une révélation. »(6)
Ainsi donc, reste-il fidèle à sa méthodologie analytique qu’il a bien défendue auparavant
en réduisant en premier lieu toutes les structures complexes des organismes
vivants à des constituants protéiniques élémentaires.
En effet,
Monod considère que le processus de structuration de la « protéine
globulaire »* nous révèle à la fois l’image microscopique de l’organisme
et la source de son développement épigénétique autonome. Ce- dernier est subdivisé
en quatre étapes :
a-
« Repli des séquences polypeptidiques pour donner les structures
globulaires, pourvues des propriétés associatives stéréospécifiques. »
b-
« Interactions associatives entre protéines…pour former les organismes
cellulaires. »
c-
« Interactions entre cellules, pour constituer tissus et organes. »
d-«
A toutes ces étapes, coordination et différenciation des activités chimiques
par des interactions de type allostérique**. »(7)
C’est à
travers ces étapes et ce processus, souligne Monod, que se développent des
structures supérieures, ainsi que de nouvelles fonctions, décelant par là même
les possibilités latentes que recouvrent les niveaux antérieurs. De cette façon
s’explique, selon lui, le déterminisme constaté dans le phénomène vivant, et
qui retrouve son origine « ultime » dans l’information génétique contenue
dans l’ensemble des chaînes polypeptidiques sélectionnées par des conditions
élémentaires. Par conséquent, « l’ultimo-ration » des structures et
des performances caractéristiques des êtres vivants se trouve donc dans les
séquences de radicaux des fibres polypeptidiques considérées par Monod comme étant les embryons des « démons de
Maxwell » biologiques, c’est-à-dire des protéines globulaires. Autrement
dit, tout le « secret de la vie » se trouve renfermé, selon lui, à ce
niveau d’organisation chimique. En outre, toutes les études comparatives entre
les diverses protéines extraites d’organismes totalement différents, et surtout
la comparaison faite entre leurs séquences à l’aide de moyens moderne en
matière d’analyse et de calcul, ont conduit à la découvert d’une loi générale :
la loi du hasard, qui est, d’après Monod, la source ultime de toutes les
structures des êtres vivants.
Cependant,
si la structure protéinique primaire est due à un choix issu du simple hasard,
les séquences, quant à leurs formes actuelles, n’obéissent pas à la même loi,
puisque on assiste, sans erreur, à la reproduction de la même organisation dans
les molécules de la protéine considérée. De facto, Monod en déduit sa thèse
selon laquelle tous les êtres vivants, avec leurs structures, et leurs diverses
fonctions, et même la biosphère toute entière, sont le « fruit » du
hasard qui s’est transformé à cause du mécanisme de l’invariance à une
nécessité. « Hasard, dit-il, capté, conservé, reproduit par la machinerie
de l’invariance et ainsi converti en ordre, règle, nécessité. »(8)
6- Invariance
et perturbations
Au début
du sixième chapitre de son livre « Le hasard et la nécessité », Monod
évoque la confrontation qu’avait connue la pensée occidentale entre deux
conceptions philosophiques antagonistes : il s’agit d’une part d’une
conception qui réduisait la réalité « mouvante » à des essences
perpétuellement stables, ainsi était la position de Parménide et de
Platon ; et d’autre part une
conception qui voyait dans le mouvement et le devenir le « réel vrai »,
telle était la position d’Héraclite, de Hegel et de Marx. Néanmoins, d’après
Monod, l’opposition entre ces deux conceptions est plutôt apparente qu’essentielle.
Ce sont des « épistémologies métaphysiques » qui reflètent et
justifient les conceptions morales et politiques de leurs auteurs ; mais
la science, elle, ne reconnaît que le postulat d’objectivité, ce qui l’amenait loin de ces
polémiques à caractère plutôt « idéologique » que scientifique. Autrement
dit, la science étudie l’évolution de l’univers et des systèmes qui le
composent, y compris la biosphère avec ses différents et divers composants où
chaque phénomène fait partie d’un ensemble d’interactions qui contribuent à un
changement affectant les éléments du système tout entier. Mais, l’existence
même du changement et de l’interaction dans l’univers ne contredit nullement l’invariance
et la stabilité qu’on peut y constater, puisque la stratégie de la science
consiste en effet à chercher des constants ; ainsi dit Monod :
« Quoi qu’il en soit, il y a et il demeurera dans la science un élément
platonicien qu’on ne saurait en distraire sans la ruiner. Dans la diversité
infini des phénomènes singuliers, la science ne peut chercher que les
invariants. »(9) Ainsi, Monod voie dans le « principe d’identité »
non pas seulement un simple principe logique, mais aussi un postulat physique du
moment que la physique contemporaine insiste sur l’identité absolue de deux atomes qui se trouvent dans le même état
quantique. Mais, comment expliquer la diversité constatée dans notre
environnement ?
En
réponse à cette question, Monod affirme que la découverte de la cellule a mis
en lumière l’unité profonde qui unissait les divers êtres vivants, unité qui a
été, tout au plus, confirmée par les importantes découvertes réalisées en biochimie.
Dès lors, dit-il : « C’est aux biologistes de ma génération qu’a été
accordée cette révélation de la quasi-identité de la chimie cellulaire dans la
biosphère entière. Dès 1950, la certitude en était acquise, et chaque publication
nouvelle en apportait la confirmation. Les espoirs des ‘’platoniciens’’ les
plus convaincus étaient mieux que comblés. »(10) Néanmoins, cette forme chimique universelle
qui unit tous les vivants rend paradoxal le problème de l’invariance productive,
car si leurs composants chimiques sont les mêmes, alors comment peuvent-ils
être à l’origine de l’immense diversité et différence qu’on constate entre ces
mêmes vivants ?
Concernant
ce problème, Monod considère que les composants universels, à savoir d’une part
les nucléotides et d’autre part les acides aminés, sont en quelque sorte les
‘’lettres ‘’ à l’aide desquelles s’écrivait la structure, et par suite les
fonctions associatives spécifiques des protéines. Grâce à ces
« lettres » donc, toute la diversité de la biosphère peut-être écrite
aussi bien au niveau de la structure que niveau de la performance. En outre, la
reproduction invariante du ‘’texte écrit’’ sous forme de chaînes nucléotidiques
au sein de l’ADN, dans chaque génération cellulaire, est ce qui garantie
l’invariance de l’espèce, c’est pourquoi, dit-il : « L’invariant
biologique fondamental est l’ADN. »(10)
Par suite, le point qu’il faut noter, vue son
importance selon Monod, est que le mécanisme de la traduction est absolument
irréversible, jamais ‘’l’information génétique’’ ne passe dans le sens
inverse : c’est-à-dire de la protéine à l’ADN. Ainsi, aucun mécanisme ne
peut changer la structure de la protéine ni ses performances (car ceci aurait pour
conséquence le passage d’un tel changement vers la descendance) sauf au cas où il
y aurait « une altération des instructions représentées par un segment de
séquence de l’ADN. »(11)
En effet,
dit Monod : « Le système tout entier, par conséquent, est totalement,
et intensément conservateur, fermé sur soi-même, et absolument incapable de
recevoir quelque enseignement que ce soit du monde extérieur. Comme en le voit,
ce système, par ses propriétés, par son fonctionnement d’horlogerie
microscopique qui établit entre ADN et protéine, comme aussi entre organisme et
milieu, des relations à sens unique, défie toute description ‘’dialectique’’.
Il est foncièrement cartésien et non hégélien : la cellule est bien une
machine. »(12)
On n’a
pas à insister ici sur l’aspect cartésien caractéristique de cette thèse, je
laisse le lecteur en juger lui-même. Il faut
plutôt se demander si cette stabilité, et ce caractère conservateur défient
tout changement et toute mutation qui pourraient pousser l’évolution de l’être
vivant en un sens tout à fait différent.
Quel que
soit, selon Monod, l’entité microscopique considérée, elle reste soumise aux perturbations quantiques, dont
l’accumulation au sein d’un système macroscopique contribuera inévitablement à
en altérer la structure. Ainsi, des recherches récentes en biologie ont montré
que des altérations peuvent atteindre la séquence polynucléotides de la double
fibre de l’ADN. Mais ces altérations sont, selon lui, accidentelles,
c’est-à-dire qu’elles arrivent par ‘’hasard’’. Et puisque elles sont la source
unique et possible des changements que pourraient connaître le ‘’texte
génétique’’, alors il faut nécessairement reconnaître que le hasard seul est à
la source de toute nouveauté, comme de toute création nouvelle au sein de la
biosphère. Il est aussi l’origine unique de l’évolution. En effet, le concept de
‘’hasard’’ est devenu dans la biologie moderne non pas une hypothèse parmi
d’autres, mais plutôt l’unique hypothèse possible conforme avec les résultats
de l’observation et de l’expérience, c’est pourquoi dit-il : « Cette
notion est aussi, de toutes celles de toutes les sciences, la plus destructive
de tout anthropocentrisme, la plus inacceptable intuitivement pour les êtres intensément
téléonomiques que nous sommes. C’est donc la notion ou plutôt le spectre que
doivent à tout prix exorciser toutes les idéologies vitalistes et animistes.
Aussi est-il très important de préciser dans quel sens exact le mot de hasard
peut et doit être employé, s’agissant des mutations comme source de
l’évolution. »(13) De fait, et afin d’élucider le sens du hasard tel qu’il
l’entend, Monod opéra une distinction entre deux genres d’incertitudes :
une incertitude « opérationnelle » liée à notre incapacité à saisir
tous les paramètres qui gouvernent un phénomène donné ; c’est comme au jeu
de ‘’dés’’ où les résultats demeurent probables et imprécis. Toutefois, cette incertitude
pourrait être éliminée si nous arriverons à concevoir une mécanique de
lancement très précise, de façon à mettre de côté les paramètres qui
perturberaient notre prévision. Mais, l’incertitude pourrait être aussi
« essentielle », il s’agit surtout de ce que Monod appelle les
« coïncidences absolues » : je me prépare, par exemple, pour
aller faire des achats, et voilà soudainement la pluie qui commence à
pleuvoir ; il n’existe en effet aucune relation nécessaire entre mes
préparatifs, la tombée de la pluie et le marché. Dans ce genre d’événement nous
sommes face à un « hasard absolu », où il y a une coïncidence entre
des séquences causales absolument indépendantes les unes des autres. C’est
cette même indépendance qu’on constate, selon Monod, entre « les
événements qui peuvent provoquer ou permettre une erreur dans la réplication
du message génétique et ses conséquences fonctionnelles. »(14) Ainsi donc, l’évolution n’est pas une
propriété des êtres vivants puisque elle
a ses racines dans les imperfections qui peuvent toucher leur unique privilège,
c’est-à-dire leur mécanisme conservateur. Il faut donc soutenir, dit
Monod : « que la même source de perturbation, de « bruit »
qui, dans un système non vivant, c’est-à-dire non réplicatif, abolirait peu à
peu toute structure, est à l’origine de l’évolution dans la biosphère, et rend
compte de sa totale liberté créatrice, grâce à ce conservatoire du hasard,
sourd au bruit autant qu’à la musique : la structure réplicative de
l’ADN. »
KAMAL
ELGOTTI :
KHENIFRA LE 24-07-2017
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