« Nicolas de Cues : les mathématiques au
service de la métaphysique »
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1- Des figures
géométriques et de leurs propriétés
Revenons à la question de départ : comment la
coïncidence des opposés est-elle possible ?
Une ligne droite qui serait, selon De Cues, infinie, serait
du même coup un triangle, un cercle, une sphère, et vice versa. En effet,
imaginons une ligne courbe qui s’étendrait graduellement jusqu’ à l’infini.
Cette ligne-ci passerait du maximum de courbure vers le minimum de courbure, et
ainsi elle deviendrait une ligne droite infinie. Dès lors, nous assisterons à
une coïncidence des opposés, et c’est alors que : « Le minimum
coïncide avec le maximum, de telle sorte qu’il semble nécessairement à l’œil
que la ligne maximale le soit droite au maximum et courbe au minimum. »(1)
Comme on peut le constater, De Cues nous livre ici une
conception dynamique selon laquelle la
ligne droite infinie contient en acte ce qu’une ligne finie ne peut contenir
qu’en puissance ; chose qu’on verra aussi quand il passera de la ligne
infinie au triangle, au cercle et à la sphère. Ainsi, une ligne droite AB qui serait fixe en
A, et en mouvement d’un angle qui serait moins de 180° du côté de B,
engendrerait un triangle ABC. Et si le point B continue son mouvement de façon
à décrire un angle de 360°, alors la
droite AB finira par engendrer un cercle. Et si encore on prolonge la droite AB
de façon à ce qu’elle devienne un diamètre ABD
qui coupe ce cercle en deux demi-cercles ; et si, en outre, on
tourne l’un de ces demi-cercles autour de son diamètre, on obtiendra une
sphère.
En vertu de ce qu’on vient d’établir, De Cues nous dit :
« Puisque donc ces figures sont dans la puissance de la ligne finie, et
puisque la ligne infinie est en acte tout ce que la ligne finie est en
puissance, il s’en suit que la ligne infinie est triangle, cercle et sphère. Ce
qu’il fallait démontrer. »(2)
En effet, après avoir pris en considération les propriétés des
figures finies, et la manière avec laquelle elles sont engendrées, De Cues nous
propose de passer à la deuxième étape de sa recherche, en transférant ainsi ces
mêmes propriétés aux figures infinies. Certes, une telle recherche ne peut être
menée en partant de notre faculté imaginative, d’autant qu’elle est submergée
par les impressions sensibles. C’est pourquoi seul l’intellect est capable à
ses yeux de soulever le défi.
Etant donc simple et un, l’infini n’est ni composé ni
multiple. De fait, un triangle qui serait maximal serait de même coup infini.
Et comme d’ailleurs tout triangle, il est composé de trois lignes et trois
angles. Mais, nous avons auparavant dit que l’infini est par nature un et
simple, d’où il en ressort qu’un triangle infini ne peut nullement être composé
de trois lignes infinies sans pour autant perdre sa caractéristique qui en fait
un véritable triangle maximal. Ainsi, dit De Cues : « Ce triangle
maximal ne sera donc pas composé de côtés et d’angles, mais la ligne et l’angle
ne formeront qu’une seule et même chose, de telle sorte que la ligne est aussi
un angle, puisque le triangle est une ligne. »(3)
Afin de bien saisir la manière ingénieuse dont se sert De
Cues pour confirmer son analyse, il faut pouvoir imaginer ce passage d’une entité
quantifiable à une autre non quantifiable. Nous savons que la somme des angles
d’un triangle est égale à la somme de deux angles droits, imaginons donc l’un
des angles de ce triangle grandir progressivement, il est évident que les deux
autres angles vont rapetisser jusqu’à devenir nuls. Par conséquent, nous
n’aurons à la fin qu’une ligne droite ou un angle qui vaut 180°. C’est pourquoi
donc De Cues affirme qu’à l’infini, au maximum, un triangle deviendra une
ligne.
De plus, un triangle infini est en effet un cercle infini.
Admettons fixe le sommet A d’un triangle, et comme la ligne BC est infini, elle
est aussi un arc infini, alors si on imagine le point B en mouvement, il finira
sans aucun doute par atteindre le point C ; de cette façon on aura un cercle
avec une circonférence infinie. De fait, une circonférence qui serait infinie
ne pourrait être qu’une ligne infinie. Si, de surcroît, en fait tourner ce
cercle infini sur lui-même on aura à la fin une sphère infinie.
Nous voyons, donc, comment à l’infini la ligne, le triangle,
le cercle et la sphère sont une seule et même chose, une et simple. Ainsi, se
manifeste cette nature profonde du maximum à travers laquelle il rend en acte
toutes les possibilités que détiennent en puissance les choses finies. C’est
pourquoi, dit De Cues : « Il en va différemment dans le non-maximum, où la
puissance n’est pas l’acte, comme une ligne finie n’est pas un
triangle. »(4)
2- De l’infini mathématique à l’infini divin
Restera, donc à savoir comment De Cues, partant de ses
considérations sur l’infini et le fini mathématiques, accédera-t-il à spéculer
sur la nature du maximum, qui n’est que Dieu lui-même.
Pour un tel projet, De Cues trouvera appui dans la théologie
négative, dont Denys l’Aréopagite est l’un des figures emblématiques. Et selon
ce-dernier : « Dieu est au-delà de toute affirmation, la cause
parfaite et unique de toutes choses et, au-delà de toute négation, se trouve
l’éminence de celui qui est, dans sa simplicité, affranchi de tout et au-dessus
de tout. »(5)
Pour De Cues, on reconnaît à travers ce qui vient d’être
énoncé par l’Aréopagite, le principe fondamental qui dirige toute recherche sur
la nature de Dieu, le maximum et l’infini. Autrement dit, on reconnaît le principe
de la docte ignorance. Il en ressort que dieu est au-delà de tout discours, et
étant indicible il est de ce fait au-delà de toute affirmation et de toute
négation. C’est comme la ligne maximale et infinie, elle est au même temps une
courbe, un triangle, un cercle, une sphère sans pour autant perdre son essence
qui fait d’elle une ligne. Ainsi, par cette transsomption, c’est-à-dire par
analogie entre les mathématiques et la métaphysique, Dieu se révèle comme étant
lui-même une essence parfaite et simple de toutes les essences. Toutefois, même
si il l’est, il reste vrai qu’il n’est aucune des essences des choses.
« En effet, dit De Cues, le maximum, pour lequel le minimum n’est pas un
opposé, est nécessairement la mesure parfaitement adéquate de toute choses ;
elle n’est pas une mesure trop grande, puisqu’il est le minimum, ni trop petite
puisqu’il est le maximum. Or, tout mesurable se trouve situé entre le maximum
et le minimum. L’essence infinie est donc bien la mesure parfaitement adéquate
et précise de toutes les essences. »(6)
Ainsi donc, l’infini, le maximum, est le principe de toutes
les choses. Pour le démontrer, il a fallut, pour notre philosophe évoquer toute
la tradition philosophique qu’elle soit d’esprit aristotélicien, platonicien ou
néoplatonicien. Et en réinterprétant cette tradition, De Cues affirme que ce principe,
qui n’est en effet que Dieu, est premier, immuable, perpétuel, un et simple. En
outre, et en dépit de leur diversité, leur multiplicité et leur différence,
toutes les choses s’y ramènent. C’est comme le cas de deux lignes qui diffèrent
quant à leur mesure : l’une d’un mètre l’autre d’un kilomètre. Certes,
elles sont différentes, mais il n’en reste pas moins qu’elles sont semblables,
car la ligne finie n’est pas moins ligne qu’une autre qui serait plus grande
qu’elle, puisque elles participent au même essence et émanent du même principe
unique et indivisible qui est la ligne infinie. Par conséquent, dit De Cues, Le
principe de l’une et l’autre ligne est unique, et la diversité des choses ou
des lignes provient non de la diversité de leur principe, qui est unique, mais
d’un accident, parce que chacune d’elles ne participe pas également de ce
principe. Il n’y a donc de toutes choses qu’un seul principe diversement
participé. »(7)
Cette différence, donc, qu’on constate entre les figures, ou
les choses, provient du fait qu’elles ne
participent pas de la même manière à la ligne maximale et infinie ; ligne
qui n’admet pas de différence, car il n’y a qu’un infini un et simple. De fait,
même égales, deux lignes ne peuvent jamais atteindre une égalité maximale qui
demeure une caractéristique de la seule ligne infinie. Et c’est pourquoi aussi
l’inégalité persiste même si elles paraissent semblables.
Si maintenant nous bannissons toutes les lignes finies que
nous pouvons concevoir, il n’en restera alors que la ligne infinie maximale et
inconnaissable. Et c’est cette inconnaissabilité qui illustre bien l’idée de
l’ignorance parfaite dont parle De Cues. De même, si nous ôtons tous les étants
concevables, de façon à ce que nous puissions retourner à l’entité à laquelle
ils participent, nous retrouverons comme dit De Cues : « L’entité
elle-même parfaitement simple, qui est l’essence de toutes les choses. »(8) ;
et cette entité n’est en effet que Dieu lui-même. Face à ce dernier, nous nous
trouvons dans un abîme sans fond, un néant révélateur de la docte ignorance,
car une fois éliminées, toutes choses et toutes réalités, il ne reste
absolument « rien ». C’est ici, en fait, où réside la profonde leçon
que nous lègue la théologie négative de laquelle part De Cues dans sa quête de
Dieu et de la divinité. Et encore une fois, c’est le nom d’un néoplatonicien
qui revient sous la plume de Nicolas de Cues quand il dit : « C’est
pourquoi Denys le Grand affirme que l’intellection de Dieu conduit ‘’au rien
plutôt qu’à quelque chose’’.»(9) Mais, il reste à savoir que ce néant n’est
à plus forte raison que le « maximum inconnaissable ».
Revenons, donc, à ses méditations sur les entités
mathématiques et lisons ce qu’il en dit : « Tout angle du triangle
sera une ligne, puisque le triangle entier est une ligne ; c’est pourquoi
la ligne infinie est trine. Or il est impossible qu’il existe plusieurs
infinis ; par conséquent, cette trinité est unité. »(10)
Partant, il devient manifeste que De Cues atteint par là même
le seuil de sa recherche. Il s’agit pour lui de transsumer ses considérations
sur les lignes infinies de façon à ce qu’il puisse accéder à l’infini simple,
là où la trinité coïncide avec l’unité.
En effet, comme la ligne infinie est au même temps triangle,
cercle et sphère, le maximum, lui, est essence puisque il est le
maximum linéaire ; il est encore trinité du fait qu’il est
le maximum triangulaire ; unité aussi car il est le maximum
circulaire ; et, enfin, existence en acte du moment qu’il
est le maximum sphérique. Ainsi, dit De Cues : « Le maximum est une
essence trine et une en acte. »(11) En outre, même s’il est essence,
trinité, unité et actualité, le maximum ne perd pour autant rien de sa parfaite
simplicité. C’est pourquoi, encore, l’unité et la trinité coïncident en lui.
Mais, à l’encontre des réalités quantifiables, le maximum absolu, et du simple
fait qu’il est infini, défie tout dénombrement, chose qu’atteste bien Augustin,
qu’évoque De Cues, quand il dit : « Dès que tu commences à compter la
trinité, tu sors de la vérité. »(12) La vérité est qu’en dieu la
multiplicité des personnes ne contredit pas l’unité de l’essence. C’est le cas
même de la ligne une et infinie, en étant triangle, elle ne cesse toutefois
d’être simple. Et quand l’évangile de Jean nous rapporte que le Fils a
dit : « Je suis dans le Père et le Père est en moi » (Jean, X,
38), il ne fait selon Nicolas de Cues qu’affirmer la même vérité, à savoir que
Dieu est l’unité trine. Ainsi, conclut-il : « Réunis donc, au
préalable, ces propriétés qui semblent opposées, comme je l’ai dit, et tu
n’aura pas le un et le trois ou bien l’inverse, mais l’uni-trine ou bien le
tri-un. Ce qui est la vérité absolue. »(13)
De cette vérité tri-un il en découle le caractère principal
et essentiel de la trinité. Pour le justifier, De Cues est sommé de démontrer
que toute figure polygonale a pour fondement et pour principe un triangle,
comme d’ailleurs l’unité, qui elle, est fondement des nombres. En effet, quand
nous traçons un triangle on commence d’abord par le premier angle, et vient
ensuite le deuxième et le troisième. Mais, il n’en demeure pas moins que les
trois angles forment ensemble un seul et unique triangle. Par conséquent, la
distinction ne condamne nullement la relation, et la succession temporelle n’oppose
pas l’antériorité à la postériorité du moment que les deux coïncident dans
l’infini et l’éternité.
En appliquant cette dernière conception à la question de la
trinité divine, De Cues dit : « Ainsi, le Père n’est pas antérieur au
Fils ni le Fils postérieur au Père. Mais le Père est antérieur de telle façon
que le Fils ne lui est pas postérieur. Ainsi le Père est bien la première
personne, mais de telle façon que le fils n’est pas la seconde ; de même
que le Père est la première personne sans antériorité, le Fils est la seconde
postériorité, et de la même manière le Saint-Esprit, la troisième. »(14)
En outre, De Cues affirme que le maximum est par nature un et
simple, c’est pourquoi toutes figures composées se réduisent à lui ; et
comme c’est déjà démontré, toutes les figures simples : le triangle, le
cercle et la sphère sont issues de la ligne simple ; et puisque elles sont
exemptes de toute sorte de composition, alors le maximum ne peut être que trin.
Ce qui l’atteste, est que tout polygone est composé et a pour principe une
figure simple, c’est-à-dire un triangle.*Pris en lui-même, un tel maximum ne peut être identifié à
aucune de ces quatre figures. En revanche, pris comme mesure de toutes choses,
il s’identifié aux figures susdites. Il s’y identifie, justement, car en étant
maximales, ces figures deviennent la mesure des autres : la ligne maximale
est la mesure de la longueur, le triangle maximal est mesure des surfaces
rectilignes, le cercle l’est pour celles circulaires, enfin la sphère l’est,
aussi, pour les volumes.
Il est évident, donc, que De Cues tend à travers ce
symbolisme des formes triangulaires, principe de tout polygone, à mettre en
valeur l’idée principale du dogme chrétien qui concerne la sainte trinité
divine. Toutefois, ce symbolisme n’est qu’un moment d’une dialectique qui
nous transcende du concret
connaissable, vers celui qui excède toutes connaissances, vers l’inconnaissable
et l’indicible : le Un-trin.
Et si c’est ce que nous dévoile le symbolisme du triangle,
qu’en est-il de celui rattaché au cercle ?
Le cercle infini, lui, exprime l’unité, l’identité et
l’éternité parfaites ; il est une unité qui surpasse toute unité
concevable. Il est aussi une pure identité qui précède toutes les oppositions,
car l’autre et le divers ne peuvent s’opposer à elle. C’est pourquoi le maximum,
comme unité parfaite, est exempte de toute forme de diversité et d’altérité
« Si bien que sa bonté n’est pas différente de sa sagesse, mais la même
chose. » (15) De fait, la diversité en lui est plutôt identité.
Point non plus de durée au sens ordinaire du terme, car dans
un cercle le passé, le présent et le futur coïncident. Dans l’éternité il n’y a
ni commencement ni fin, puisque le commencement est aussi fin, et la fin
commencement. Toutes ces propriétés sont la conséquence évidente de cette unité
parfaite qui caractérise le cercle.
En outre, en un cercle
infini et maximal, le diamètre
coïncidera sans aucun doute avec la circonférence, et le milieu de ce diamètre
sera par conséquent infini. Cependant, ce milieu-ci est en vérité son centre,
et puisque le diamètre est circonférence, alors son centre l’est aussi. De
fait, dit De Cues : « Il est évident que le centre, le diamètre et la
circonférence sont identiques. »(16) ** Cette division du cercle infini en centre,
diamètre et circonférence n’exclue nullement son unité, du moment qu’il est le
maximum présent partout et entourant le tout. Néanmoins, ce maximum n’est
identique à rien et n’est différent de rien « et en quoi tout est en
lui, de lui et par lui. »(17) Tout est en lui, du fait qu’il est
circonférence, de lui en tant qu’il est diamètre, et en fin par lui en tant que
centre. Cette exaltation de l’unité maximale est figurée donc par l’image du
cercle infini, mais une telle unité demeure au-delà de toute figuration. En
effet, le maximum est unité parfaite et simple, et cette vérité ne découle pas
du fait qu’il est cercle ou circonférence ou diamètre. Autrement dit, le
maximum est toutes choses sans être aucune d’elles au même-temps.
Enfin, la sphère maximale et infinie est considérée par De
Cues comme étant une entité qui contient en elle-même la ligne infinie, le
triangle infini et le cercle infini. De surcroît, puisque le centre d’un cercle
maximal coïncide avec son diamètre et sa circonférence, le centre d’une sphère
maximale, lui aussi coïncide avec la longueur, la largeur et la profondeur.
C’est à la suite de ces propriétés qui caractérisent la sphère maximale, et qui
font d’elle l’acte de la ligne, du triangle et du cercle que le maximum, lui,
est considéré par De Cues comme étant l’acte de toutes choses. Et c’est parce
que la sphère maximale est l’image de la figure parfaite qui enveloppe toutes
les autres figures, et d’où celles-ci tiennent leur perfection, que le maximum
est la perfection de toutes choses. De ce fait, la sphère maximale symbolise
dieu, car il est la mesure du tout : mouvement, repos et temps, il est,
dit De Cues : « Le principe unique et parfaitement simple de
l’univers tout entier. »(18) Ainsi, il englobe et engendre toutes
créatures, car il est : « La forme des formes. »(19)
3- De l’infini divin.
Peut-on donc nommer Dieu ? Peut-on le qualifier en
disant qu’il est « l’unité » ? Certes non, car pour De Cues le
fait d’attribuer un nom à quelque chose est une opération de la raison. Or, à
notre échelle, chaque nom suppose et induit avec lui son opposé. Ainsi en
est-il de l’unité qui suppose la multiplicité, et de l’identité qui suppose
l’altérité, et ainsi de suite. Mais, ce qui convient parfaitement à Dieu est ce
que De Cues appelle : un nom maximal, c’est-à-dire un nom qui enveloppe
tous les opposés, un nom où l’unité ne s’oppose ni à la multiplicité ni à
l’altérité : « C’est un nom, dit-il, ineffable et au-dessus de toute
intellection. »(20) « C’est pourquoi, dit-il encore, la docte ignorance
nous permet de comprendre que, bien qu’ ‘’unité’’ semble le nom le plus
proche du maximum, néanmoins il reste encore infiniment distant du véritable
nom du maximum en tant que telle. »(21)
Par conséquent, on a beau attribuer à Dieu les noms affirmatifs
qu’on attribue ordinairement aux créatures, ils n’en conviennent nullement à
dévoiler son essence. En effet, tous les noms imaginables qu’on puisse lui
attribuer ne peuvent révéler sa vérité, car il est le nom suprême qui les
contient tous ; il est de ce fait Créateur, Justice, Beau, Puissant …etc
avant même l’existence des créatures douées de la capacité de nommer et de
signifier ; ainsi, tout nom qu’on puisse lui conférer ne peut être, selon
le mot même de Denys, que « disjonctif », *** puisqu’ il suppose toujours son
opposé. Plus encore, ce caractère disjonctif est mis à jour quand on dit de Dieu
qu’il est Père du fait qu’il est unité, et Fils du fait qu’il est l’égalité de
l’unité, et enfin liaison des deux, c’est-à-dire du Père et du Fils, du fait
qu’il est Saint-Esprit. Or, toute manière de nommer Dieu reste assujetti aux conditions de la créature, et c’est là où
réside les limites de toute théologie de l’affirmation que De Cues tentait de
dépasser vers une autre plus subtile : la théologie négative. Grâce à
cette dernière nous accédons à la véritable foi, sous la direction de ce que De
Cues appelait « la docte ignorance ». Il s’agit d’une connaissance
qui nous transcende au-delà des lignes de démarcation prescrites par notre
« raison discursive », car Dieu, selon toujours l’enseignement de la docte ignorance, est ineffable. Ainsi,
dit De Cues : « … Selon la considération de l’infinité Dieu n’est ni
un ni multiple. En réalité, selon la théologie de la négation, on trouve rien
d’autre en Dieu que l’infinité. C’est pourquoi, selon cette théologie, Dieu
n’est connaissable ni aujourd’hui ni demain, puisque toute créature, qui ne
peut comprendre la lumière infinie, est donc ténèbres par rapport à lui. Il
n’est connu que par lui seul. »(22)
Nous voyons donc comment De Cues s’est efforcé tout au long
de son premier livre à mettre en lumière l’itinéraire à partir duquel nous
pouvons atteindre l’incompréhensible, sans pour autant le saisir. Mais, ceci
demeure possible pourvu qu’on adopte la docte ignorance comme règle pour
conduire notre recherche à terme.
NOTES :
KAMAL ELGOTTI : KHENIFRA LE 14/03/2017
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